Clap, clap

, par Sophie Tregan


C’est très beau de vous entendre toutes et tous applaudir à 20h chaque soir. Mais voilà c’est bien le problème : c’est juste beau. Et le beau ne sauvera pas le service public. Le beau ne résoudra pas la crise sanitaire. Le beau ne destituera pas les incompétents au pouvoir. Voilà pourquoi à mesure que les jours passaient, j’ai applaudi moins longtemps, moins fort et aujourd’hui : je n’applaudis plus. Applaudir c’est me résigner à accepter la situation telle qu’elle est, à accepter le sacrifice du personnel soignant. Et je ne peux m’y résoudre. Dans la 7ième puissance économique mondiale, dans le 2ième pays payant le plus d’impôts au monde, nos hôpitaux publics ne devraient manquer ni de moyens, ni de personnel, et aucun médecin ne devrait mourir du seul fait de l’incurie de l’État.

Jugez-moi, fustigez-moi mais pour soutenir le personnel soignant, il ne sert à rien de taper dans ses mains. La majorité des gens qui sont à leur fenêtre, nous ne les avons pas entendus pendant la grève des hôpitaux, nous ne les avons pas vu à nos côtés en manifestation pendant un an, lorsque nous scandions des slogans pour sauver les services publics, lorsque nous devions faire face aux gaz lacrymogène, aux coups, aux insultes d’une police au service de l’autoritarisme. Ces applaudissements dépolitisent le combat que nous menons. Car oui, c’est bien de Politique qu’il s’agit ici. Ce sont les politiques qui ont supprimé des lits dans les hôpitaux, des postes, restreignent les budgets. Ce sont les politiques qui n’ont pas anticipé, ou voulu anticiper la crise sanitaire dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Ce sont les politiques qui ont décidé de nous sacrifier au profit de la productivité, de l’économie, des dividendes : il est bien plus important de rassurer la finance que de sauver des vies. C’est encore une fois les politiques qui profitent de nos peurs, de notre faiblesse, de notre incapacité à agir pour faire passer les lois les plus liberticides et antisociales de ces 70 dernières années. En plus de vivre dans l’incertitude, l’angoisse, l’inconnu, nous devons maintenant nous inquiéter de l’après. Ils ont fait du coronavirus une arme de destruction humaine, sociale, et politique.
- possibilité d’augmenter la durée du travail à 60h
- possibilité de réduire le repos compensateur à 9h
- possibilité de travailler le dimanche
- possibilité de travailler 7 jours sur 7.
Et dans la grande tradition de la Novlangue macronienne, ils ont appelé cela : la solidarité. Ils ont réussi à détourner ce mot qui auparavant nous appartenait : « Sentiment d’un devoir moral envers les autres membres d’un groupe, fondé sur l’identité de situation, d’intérêts : Agir par solidarité ». Ce sentiment de devoir moral nous ne le devons ni à eux, ni à ceux de leur caste, leur situation n’est pas la nôtre, nous ne défendons pas leurs intérêts.

Il va nous falloir préparer l’après. L’après où pour certains d’entre nous, il sera difficile de retrouver un emploi, difficile de payer les factures, difficile de trouver un logement. Ce n’est pas le virus qui plonge certains d’entre nous dans la précarité. Ce sont des décisions politiques. C’est la soumission de l’Etat au grand patronat. C’est la loi du marché. C’est la violence du capitalisme. Je regarde les nouvelles défiler sur mon fil d’actualités facebook, je clique sur un article de Boursorama : En pleine crise sanitaire « les entreprises européennes commencent à distribuer à leurs actionnaires les quelques 359 milliards d’euros de dividendes, correspondant aux gains 2019 ». 10 minutes après je lis le témoignage d’une infirmière sur le manque de gel hydro-alcoolique, et de masques - alors que l’on a vu le président porter un masque FFP2 malgré les déclarations de sa porte-parole 2h auparavant qui nous assurait que cela ne servait à rien si l’on n’était pas malade. J’enchaine mes lectures et je tombe sur un article du Huffpost où les hôpitaux privés demandent à être réquisitionnés (pourquoi n’est-ce pas déjà fait ?). Je constate à quel point il est facile et rapide pour nos dirigeants de légiférer pour sauver l’économie et lent et fastidieux de prendre des décisions pour préserver notre santé.

Cette crise sanitaire est encore et toujours une guerre de classes. Politiques, footballeurs, dominants, ont accès au test même avec des symptômes bénins et nous, la populace, personnel soignant inclus, nous devons rester dans l’incertitude. Il ne nous reste que le confinement et gare à vous si la police juge votre Ausweis non conforme ! Au mieux vous écoperez d’une amende et au pire, si vous vivez dans un quartier populaire, vous écoperez de quelques coups. Car oui, cette milice déjà violente par le passé, continue de sévir en temps de crise sanitaire.

Dans tout ce bordel, une lueur d’espoir : j’ai vu des vidéos tourner sur les réseaux sociaux où, dans certains quartiers populaires, à 20h les gens scandaient à leur fenêtre le slogan « du fric, du fric pour l’hôpital public ». C’est un début, c’est une revendication politique, c’est la réappropriation d’un combat que nos gouvernants tentent d’étouffer sous des clap-clap.

Certains ne retiendront de ce texte que le fait que je n’applaudisse plus, et peut-être tenteront-ils de me faire passer pour une ingrate, une inhumaine. Mais j’espère qu’après cette épreuve, ils réaliseront que leurs applaudissements ne peuvent rien face à une politique liberticide, antisociale, inique ; En un mot : meurtrière.

Au plaisir de vous voir toutes et tous investir la rue pour construire ensemble le monde d’après. Et là je recommencerai sûrement à applaudir.

Clap...