Conversation entre un éditeur et son auteur (enregistrée à leur insu et placée sous le signe du devoir d’informer et de la protection des sources)

, par Tiger Sharuntas Gland


L’éditeur : Allo, Jean-Philippe ? C’est Pierre-Paul ! Alors, toujours au cul des vaches, abonné à la Normandie profonde ? Toujours à humer les effluves de fumier aux petites aubes ?! Dis donc, blague à part, t’es à fond sur ton polar, j’espère, t’oublies pas que tu livres la marchandise fin mai... L’air vivifiant de la campagne t’inspire, ça marche comme tu veux ?
L’auteur : Ouais, bof, sans plus, la gamine a eu les oreillons, deux semaines à la maison, intenable, pas moyen de bosser une minute... Et puis, les travaux, les travaux – t’imagine pas ! Une fuite dans le toit, le grenier à moitié inondé, de la plomberie à n’en plus finir, et les artisans, les artisans, quelle plaie... Bon, je te le cache pas : je suis à la bourre, y’a encore des trucs qui clochent dans mon scénar...
L’éditeur : Merde alors... Remarque, c’est bien que tu m’le dises, parce que ça me fait penser à une chose... T’as la télé quand même, non ? Alors j’imagine que t’as vu passer l’histoire de Notre-Dame – dingue non ? Jamais vu ça depuis le 11 Septembre... Du délire ! Mais là, figure-toi, j’ai un gros-gros problème... Je vois la concurrence qui part sur les chapeaux de roue, et moi, j’ai beau regarder ce qu’on a dans le fonds, j’ai beau secouer tous les manuscrits oubliés dans mon bureau, faire le tour des auteurs maison – rien ! Rien qui parle de Notre-Dame de Paris, de Notre-Mère l’Eglise, du Petit Jésus, de la Sainte Vierge, du grand orgue, de la foi, des messes de Noël, des processions d’autrefois... rien ! Je vois que G. annonce déjà à coups de trompes Notre-Dame racontée à ma fille par Régis Debray, L., un inédit de Péguy, F., une Lettre ouverte à Quasimodo par Edgar Morin, l’autre G., des entretiens entre L’archevêque de Paris et Jean-Luc Marion – et nous, rien, à poil, secs comme la Crau au 15 août... Alors, je me suis dit que peut-être, des fois, si tu séchais un peu sur ton polar... si les flammes t’inspiraient... une petite histoire bien ficelée comme tu sais faire quand t’es en forme... une Passion, une Résurrection, la main du Diable, la musique des anges... j’sais pas, moi, un truc qui élève l’âme, qui fasse oublier Barbarin et le reste... Si j’ai bonne mémoire, au temps de ta jeunesse studieuse, t’as bien fait une thèse sur Bernanos, non ?
L’auteur : Oh la la, c’est loin, tout ça... Tu sais, moi, ça doit bien faire vingt ans que j’ai pas foutu les pieds dans une église... la gamine, elle est même pas baptisée... Remarque, maintenant que t’en parles, ça me fait penser : tu te rappelles, mon histoire, pour le polar, le personnage, c’est un p’tit Blanc qui a perdu sa mère dans un accident de bagnole, après ça, comme il s’entend pas bien avec son père, il commence à partir en vrille, il se fait pote avec des muslims radicalisés dans son quartier un peu pourri, ils lui montent la tête, il veut partir en Syrie, il se fait bloquer deux fois, en Bosnie d’abord, en Turquie ensuite, refoulé, un procès sur le dos, et, et... c’est là que ça coince justement, j’ai du mal à trouver le débouché, l’impression qu’on a déjà lu ça mille fois dans les journaux, déjà... Mais imagine juste : mon gars, les flics aux fesses, aux abois, il tombe sur un agent dormant de Daech qui le prend en charge, achève de l’endoctriner et le convainc d’aller se faire sauter dans Notre-Dame, un jour d’affluence... Le gars de Daech met ses sbires sur le coup, ils étudient le système de sécurité sous toutes ses coutures, trouvent la faille, l’attentat est préparé dans les moindres détails, le gars est prêt – le dimanche des Rameaux arrive, c’est parti !
Le gars entre sans coup férir, se fraie son chemin dans la foule qui se presse, arrive devant le grand autel, juste au moment où la messe va commencer... et à l’instant précis où il va déclencher le mécanisme de mise à feu de sa ceinture, un rai de lumière, réfracté par un vitrail, vient le frapper en plein front... Comme foudroyé, le terroriste suspend son geste, lève les yeux vers la voûte et s’abat sur la dalle comme un pénitent...
L’éditeur : Du vrai Claudel !
L’auteur : Ouais, bon, la fin, les détails de sa conversion, son entrée dans un ordre mendiant ou chez les Jésuites (il finirait ses jours curé d’une petite paroisse, dans un village de montagne perdu, chez les aborigènes taïwanais), faudrait voir – l’essentiel, c’est qu’on ait l’idée générale... En poussant un peu, on pourrait même faire venir Macron et Brigitte, pour son son ordination, comme parrains...
L’éditeur : Génial ! Fabuleux ! Ah, là, je te retrouve ! Du grand Z.... ! Je vois bien le bandeau du bouquin : Le converti de Notre-Dame, en caractères rouges qui crachent bien... Bon, le problème, c’est que, du coup, il faudrait avancer un peu la sortie... pas plus tard que le 15 juin, lecture de vacances, recommandé par Le Monde des Livres, ça serait l’idéal... Ça te laisserait dans les deux semaines, ça irait ?
L’auteur : C’est-à-dire... une fois qu’on voit où on va, ça peut aller vite... juste un petit truc : on pourrait revoir un peu les pourcentages, au-delà des cinquante premiers mille ? Histoire que tout le monde s’y retrouve...
L’éditeur : Pas de problème, je vois avec le service des droits et on t’envoie un avenant ! C’est une affaire qui roule ! Allez, j’te laisse, pas une minute à perdre ! Et vas pas glisser sur une bouse et te casser une patte ! C’est pas le moment ! Ciao !
L’auteur : Pas de risque, me voilà séquestré pour un bout de temps... Non mais quelle idée d’aller foutre le feu à cette bicoque... et samedi, comment ils vont faire sans moi pour tenir le rond-point, les copains ?