Deuils. Sur le communiqué intersyndical et interassociatif du 21 octobre 2020

, par Noé le Blanc


Le 21 octobre, la quasi-totalité des syndicats de l’éducation et plusieurs associations de défense des droits ont publié un communiqué commun en réaction à l’assassinat de Samuel Paty, intitulé « Face à l’obscurantisme, faisons grandir une société unie et fraternelle ». Le caractère manifestement consensuel de ce texte laisserait penser qu’il porte un discours modéré. Pourtant, un examen du propos tenu suggère que ce consensus témoigne plutôt de la progression alarmante des conceptions d’extrême-droite dans le débat public en France. [1]

Ce texte décline en effet le principe extrême-droitier selon lequel « Ils nous haïssent pour notre liberté » (« They hate us for our freedom »), formule associée au président George W. Bush. Sans reprendre ce slogan à la lettre, le communiqué en reconduit malgré tout le schème interprétatif central, à savoir, l’idée que les actes de violence du « terrorisme islamiste » manifestent l’essentielle légitimité de l’ordre social. Ce que ces actes donneraient à voir, c’est un combat des ténèbres contre la lumière. [2]

Ainsi, quel que soit le mélange d’émotion sincère, d’opportunisme politique et de contrainte tacite qui a présidé à son écriture et à sa signature, ce communiqué semble constituer avant tout une opération de blanchiment symbolique de l’ordre social. [3] Cette opération de blanchiment fait en réalité de ce communiqué un texte raciste et fasciste. Les lignes suivantes sont une tentative pour examiner de plus près les rouages du propos tenu afin d’appuyer ce constat. L’intérêt d’un tel examen est que ce communiqué semble représentatif des textes produits par la plupart des acteurs institutionnels immédiatement après l’assassinat.

Un dernier point : en aucun cas s’agit-il de soutenir ici que les personnes désignées comme « islamistes » représentent ou défendent les intérêts des populations musulmanes ou perçues comme telles. Ces populations sont les premières victimes de ces bandits et de ces chefs de guerre. Pour autant, l’existence de ces criminels ne tient pas de la génération spontanée, et elle n’est pas sans rapport avec les agressions répétées que subit le « monde musulman » de la part de « l’occident » [4], sans même parler de liens plus étroits de formation militaire ou de financement direct ou indirect (notamment via le soutien sans faille que le monde occidental apporte au régime saoudien). Autrement dit, comme l’écrit Saïd Bouamama : « Un monde immonde engendre des actes immondes » [5]. Au contraire donc de l’opposition frontale proclamée de part et d’autre, il semble que les « islamistes » et les régimes occidentaux partagent bien des éléments en commun.

Remarques préliminaires sur l’emploi du mot « fasciste »

Il ne s’agit pas dans l’analyse suivante d’employer le terme « fasciste » pour condamner des discours ou des actes de façon hyperbolique et approximative. Au contraire, le terme « fasciste » est ici employé pour décrire certains phénomènes sociétaux de la façon la plus rigoureuse possible. Cette qualification ciblée s’appuie sur une définition du terme « fasciste » évidemment discutable mais plausiblement opératoire. Ainsi, est « fasciste » toute doctrine qui voit la solution nécessaire et définitive aux antagonismes sociaux (typiquement, au conflit entre le travail et le capital) dans le recours à une caractéristique (typiquement, une appartenance nationale ou ethnique) supposément partagée de façon immédiate et inaliénable (organique) par une population donnée. Le « programme en vingt-sept points » de la Phalange espagnole, publié en 1934, explique ainsi de façon archétypale que « L’Etat national-syndicaliste » « [rejette] le capitalisme » et « aussi le marxisme » [6] :

Notre régime rendra radicalement impossible la lutte des classes, car tous ceux qui coopèrent à la production constituent en lui une totalité organique.

Par ailleurs, qualifier un propos ou un acte de « fasciste » ne signifie pas que ce qualificatif doive s’appliquer à son auteur·rice tout entièr·e. Autrement dit, il n’y a pas que les « fascistes » (avec casquette militaire et lunettes de soleil) qui soient susceptibles de dire ou de faire des choses fascistes. Il me semble ainsi possible de parler de façon non métaphorique du fascisme de certains aspects de la vie publique dans un régime parlementaire, tout comme il y a du sens, par exemple, à identifier pour eux-mêmes les éléments de libre-échange que l’on peut trouver au sein d’une économie centralisée. Ainsi, que le monde social ne soit pas fasciste dans son intégralité n’empêche pas que certains de ses éléments le sont effectivement. En ce sens, plutôt que de parler comme certain·es de « société préfasciste » [7], il me semble plus juste pour décrire la situation politique actuelle en France d’évoquer une importance accrue des éléments de fascisme présents dans le monde social.

Remarques préliminaires sur la définition du racisme

Le racisme « moral » se distingue du racisme « systémique ». Le racisme moral est une croyance propre à certains individus, formulée de façon explicite, et conçue comme une exception au fonctionnement normal de la société. C’est le racisme que l’on attribue typiquement à l’électorat du Rassemblement National. Le racisme systémique est un fait structurel et largement implicite, qui relève du fonctionnement normal de la société. Racisme « moral » et racisme « systémique » se distinguent par ailleurs du racisme « ordinaire », dont il ne sera pas question ici, et qui désigne l’ensemble de ce que l’on peut appeler les micros-agressions que subissent au quotidien les personnes dites racisées. Tous ces termes sont une reprise du vocabulaire en usage dans les discussions sur l’antiracisme. [8]

Minimiser ou nier l’existence d’une oppression est participer de cette oppression. La minimisation ou la négation d’une oppression n’est jamais seulement le résultat d’une inadvertance ou d’une maladresse, mais constitue un effet de structure qui possède un caractère systématique.

Affirmer ou supposer que seul existe le racisme moral, à l’exclusion du racisme systémique, est une façon de minimiser, voire de nier, l’existence du racisme. Tout discours qui repose sur une compréhension strictement morale du racisme est donc un discours raciste, un discours qui reconduit un racisme de nature systémique. D’une certaine façon, il n’y a même rien de plus typique du racisme systémique que de présenter le racisme comme un phénomène uniquement moral.

Tout discours qui affirme ou suppose une opposition frontale entre « eux » et « nous » comme horizon de lecture du meurtre de Samuel Paty repose par définition sur une compréhension strictement morale du racisme. En effet, tout discours de ce type suppose que le racisme est une réalité locale et périphérique (« eux ») tandis que les éléments généraux et centraux du système social en sont absolument exempts (« nous »). Tout discours de ce type est donc un discours raciste.

C’est le cas, d’abord, de tous les discours qui en appellent à « l’amour », à « la tolérance » ou à « la fraternité » (vs « la haine », « l’intolérance » et ? je passe sur le sexisme du terme de « fraternité ») comme solution dotée d’une immédiateté magique à la violence interraciale. Les propositions de ce type ont en commun de faire l’économie d’une modification en profondeur du système social (d’une révolution). Elles tiennent ainsi pour inexistant le fait qu’il est (incommensurablement) plus difficile pour certaines personnes (les personnes dites racisées) de « tolérer » ou de « fraterniser » avec les autres (les personnes dites blanches) que l’inverse, au vu des dissymétries du statu quo racial. Appeler à la « tolérance » et à la « fraternité » dans ces conditions, c’est proposer que certain·es tendent l’autre joue tout en continuant de prendre des coups. C’est d’autant plus obscène que c’est présenté comme évidemment consensuel. Comme l’explique Courtney Cook, enseignante en élémentaire aux États-Unis : « Si la gentillesse (kindness) est une pratique confortable, alors je crois que je poserais la question aux éducateur·rices présent·es ici, confortable pour qui ? A qui cette ignorance délibérée permet-elle de se sentir confortable, à quel.les élèves ? Et personnellement, je pense que la gentillesse est dangereuse. La gentillesse peut être une réactualisation d’une violence suprémaciste blanche dans la salle de classe [9]. »

Les discours qui appellent à combattre « tous les extrémismes », ou « tous les fascismes », reposent également sur une négation de la nature systémique du racisme, pour au moins deux raisons. D’abord, ces discours mettent sur le même plan la violence de personnes situées aux extrémités opposées de l’ordre racial. Le caractère profondément dissymétrique de ces violences se laisse apercevoir dans les tentatives grossières parfois mises en œuvre pour exagérer la « menace terroriste » : ainsi des tags « Nik Jésus », « Nik la Fransse » et « Mahomet>Macron » retrouvés sur la façade de la salle polyvalente de la commune de Fréjairolles (15/11/2020), ou de l’initiative du directeur de l’IUT de Saint-Denis, qui en 2015 avait déposé dans le local d’une association étudiante des objets cultuels pour faire croire à une dérive communautariste. La menace « islamiste » semble ainsi avoir besoin d’être exagérée pour soutenir la comparaison avec la menace que pose l’extrême-droite blanche, dont l’influence réelle se mesure justement à l’existence de ces tentatives grotesques et décomplexées pour effrayer une opinion apparemment insuffisamment fanatisée. Marwan Mohammed déclare ainsi à propos du projet de loi sur le « séparatisme » : « L’exposé des motifs [du projet de loi] met en scène une République faible face à un séparatisme fort (…) Il y a cette phrase qui est que ‘la République n’a pas suffisamment de moyens d’agir contre ceux qui veulent la déstabiliser’, comme si les présumés séparatistes, dont on cherche les contours encore, avaient la possibilité de renverser les institutions républicaines, les règles républicaines, les équilibres républicains. Il y a un décalage total entre l’exposé des motifs et le réel tel qu’il est vécu au quotidien par les acteurs de terrain. » [10] Sarah Mazouz affirme dans la même émission : « Ce qui est frappant, c’est la façon dont sont montés en épingle des cas qui restent relativement marginaux. Et là aussi on voit (…) comment certains cas sont montés en épingle comme étant très dangereux, menaçant l’équilibre général de la République, de la société, etc., alors que quand on regarde les chiffres, ça reste infime. » Dans le même sens, Laurent Bonelli et Fabien Carrié rapportaient en 2018 : « un officier du renseignement souligne non sans malice : ‘Il y aura bientôt plus de gens qui vivent de la radicalisation que de radicaux.’ » [11]

Ainsi, les violences des extrêmes sont comparables comme le sont la violence d’un individu et celle d’un appareil d’Etat : elles ne le sont pas. Il peut sembler que la politisation explicite de son acte sanguinaire par le meurtrier place la violence de son geste à part. Mais la mort par noyade de milliers de personnes en Méditerranée, pour ne citer que ces victimes du fascisme d’Etat, résulte d’une idéologie bien plus réfléchie et assumée que tout ce qu’un jeune homme pourrait produire comme construction mentale pour justifier ses crimes. L’agence Frontex notamment dispose d’un budget de plusieurs centaines de millions d’euros et lance des opérations qui portent des noms comme « Mos Maiorum » (« les mœurs des anciens », en latin). En clair, mettre sur le même plan la violence d’un individu et celle d’un Etat est comme parler de racisme anti-blanc·he. Pour asseoir malgré tout une équivalence entre « tous les fascismes », certain·es diront peut-être que le geste du meurtrier s’inscrit dans une lutte plus large. A part qu’une telle ligne d’argumentation relève quasiment du complotisme (aucun groupe n’ayant revendiqué l’attentat), c’est une reprise du thème du « choc des civilisations », mantra d’extrême-droite dont Edward Saïd propose la critique suivante, à propos des attentats du 11 septembre 2001 [12] :

Au lieu de voir [l’attaque suicide] pour ce qu’elle est – la capture de grandes idées (j’emploie le terme de façon très lâche) par un minuscule groupe de fanatiques cinglés afin de remplir des objectifs criminels – des personnalités internationales (..) ont péroré sur les problèmes de l’islam (…).

Mais pourquoi ne pas plutôt voir des parallèles, malgré leur destructivité il est vrai moins spectaculaire, entre Oussama Ben Laden et ses disciples et des cultes comme les Davidiens, le révérend Jim Jones en Guyane ou la secte japonaise Aum Shinrikyo ?

Pourquoi en effet reprendre la lecture que les assassins font eux-mêmes de leurs actes ? Pourquoi prêter à ces agissements un authentique sens religieux plutôt que de les voir comme des faits divers sordides ?

Deuxièmement, dénoncer « tous les extrémismes » implique de nier la nature systémique du racisme car c’est supposer qu’à l’image de ce que l’on appelle « l’islamisme radical », le racisme en France est l’apanage d’une partie seulement de la société française, que c’est une réalité dont une autre partie de la société française est comme miraculeusement préservée et qu’elle peut combattre de l’extérieur. Le communiqué intersyndical et interassociatif du 21 octobre parle par exemple de « la stigmatisation des musulman.es dans laquelle certaines forces politiques voudraient entrainer le pays depuis bien des années ». Le racisme est ici quelque chose de circonscrit socialement (« certaines forces politiques ») et temporellement (« depuis bien des années », les générations précédentes ont apparemment eu la chance de connaitre une France non raciste) ; son existence est si déliée de celle du système social dans son ensemble qu’elle relève du conditionnel (« voudraient ») et de l’inchoatif (« entrainer »). En réalité, le racisme en France est si profond et si partagé qu’il est perçu comme une mission sacrée par la plupart des actrices et acteurs public·ques et par une grande partie de la population. C’est seulement parce que la société française est intimement construite sur le principe que les personnes non blanches sont des citoyen·nes de seconde zone que l’exclusion de jeunes filles de l’école peut être passionnément défendue comme une mesure féministe, que l’on peut confier à un censeur en chef islamophobe multirécidiviste comme Jean-Michel Blanquer la tâche d’organiser l’enseignement de la liberté d’expression et de la laïcité, que l’adoption de lois d’exception ciblant explicitement certaines populations peut être présentée par le président de la République comme une défense décisive de l’Etat de droit, qu’au moment où le ministre de l’Intérieur commandite des raids policiers pour « faire passer un message », la Ligue des droits de l’Homme et la quasi-totalité des organisations syndicales lui servent de caisse de résonance en appelant à une réponse « ferme et résolue ».

Pour continuer la liste, tout discours qui interprète l’assassinat à travers un prisme principalement ou exclusivement culturel ou idéologique, c’est-à-dire, tout discours qui pour contextualiser l’assassinat invoque comme allant de soi une bataille de « l’éducation » ou des « Lumières » contre « l’ignorance » ou « l’obscurantisme », comme tout discours qui réduit le meurtre à une affaire de « fanatisme » ou de « croyance religieuse », repose également sur un déni de la nature systémique du racisme. En effet, outre qu’il faut souligner l’origine colonialiste de telles conceptions, situer la discussion sur un plan culturel ou idéologique évite en proportion d’interroger les structures sociales. La remédiation préconisée par ce genre de pseudo-analyse tient d’ailleurs tout entière dans une explication du bien-fondé de ces structures : pour lutter contre la « violence terroriste », il s’agit de faire comprendre (de rabâcher ad nauseam) que puisque les textes officiels le proclament, la France est bien un État de droit. Comme le pointent les auteur·rices de la tribune « Guerre et terrorisme : sortir du déni » : « Au-delà de l’épouvante, il ne faudrait rien dire : aux yeux de ces détracteurs, les attentats commis par des terroristes fanatiques ne mériteraient aucune autre explication que cette tautologie : ils sont commis par des terroristes fanatiques. Toute personne proposant des éléments d’analyse et de compréhension est aussitôt vouée aux gémonies sur les réseaux sociaux, par des commentateurs et dans certains journaux qui se repaissent des attentats pour achalander leur boutique raciste et fourbir leurs appels à la guerre comme au choc de civilisations [13]. »

En réalité, faire semblant de ne pas voir que les tensions autour du droit au blasphème servent de cache-sexe à des enjeux qui dépassent de très loin la disputation théologique ou la leçon d’instruction civique est une façon de taire ces enjeux, de les juger inexistants ou non significatifs. En clair, réduire la discussion à des niaiseries moralisatrices (sans jamais se rendre compte, par exemple, que le droit au blasphème est en France largement un privilège de blanc·he [14]) est une façon de détourner et d’euphémiser le débat nécessaire autour de la place des personnes dites racisées dans la société française. Comme le souligne Alice Simon : « La lecture républicaine [des événements de Charlie Hebdo] consiste (…) en une condamnation morale et politique de l’attentat (…) Cette lecture relève d’un parti pris politique, majoritaire et dominant (…) La lecture scolaire (et plus généralement la lecture républicaine) des événements de Charlie Hebdo est de ce point de vue une lecture dépolitisée, déconflictualisée, qui ne laisse la place à aucun débat sur leur interprétation et qui s’oppose à ce qu’ils soient compris au prisme de l’expérience de minoration raciale [15]. » Pierre Bourdieu résumait ainsi ce tour de passe-passe idéologique : « La question patente – faut-il ou non accepter à l’école le port du voile dit islamique ? – occulte la question latente – faut-il ou non accepter en France les immigrés d’origine nord-africaine ? [16] » Une idée que l’on retrouve formulée par Usul deux décennies plus tard : « Quand on parle d’islamophobie, on ne parle pas de tout ce qui pourrait offenser les musulmans. Les musulmans de France ont l’habitude d’être offensés et n’organisent pas de grandes manifestations contre les caricatures du prophète. Quand ils manifestent, c’est contre une classe politique qui loi après loi, année après année et polémique après polémique fait de leur présence en France le problème central de cette société qui se dit pourtant libérale, égalitaire et aveugles aux différences. » [17]

Enfin, tout discours qui appréhende ce meurtre comme un événement absolument inouï, comme un choc si parfaitement exogène à la société française qu’il ferait voler en éclats tous nos cadres d’interprétation ordinaires, qu’il obligerait le monde social à un temps d’arrêt pour se reconstituer, que suggérer le contraire serait immédiatement se rendre complice de l’assassin, repose sur une négation de la nature systémique du racisme. La stupéfaction hyperbolique exprimée dans ces discours est censément à la mesure de l’arbitraire insondable d’un acte qui serait venu inexplicablement frapper une société ordinairement vierge de tout affrontement racial significatif. C’est oublier un peu rapidement, entre autres choses, les engagements coloniaux de l’Etat français ou ses pratiques en termes de politique migratoire, comme le fait que le Rassemblement National parviendra sans aucun doute au deuxième tour de la prochaine élection présidentielle. La réalité est que la haine de l’autre racial est consubstantielle à l’ordre social actuel, plutôt que de lui être essentiellement étrangère. L’idée d’un « temps de deuil » (ou « d’explication », ou « de débat ») nécessaire à la population tout entière est le point d’orgue de cette rhétorique de l’innocence raciale. Cette conception est tout particulièrement fascisante. Elle désigne en effet la population française comme une grande famille ou comme un clan, comme un groupe uni par des liens de sang plutôt que par des liens contractuels au sein d’une société civile, voire comme un organisme unique vibrant nécessairement à l’unisson, partageant intimement les mêmes ressentis. Elle valide sans embarras le trope d’extrême-droite selon lequel le sang versé en commun est le véritable creuset de la collectivité. Elle acte que l’unité de la nation se forge dans l’affirmation commune d’une identité raciale partagée.

Noé le Blanc

Notes

[1Comme en témoigne aussi de façon spectaculaire la récente popularisation du terme « islamo-gauchiste ».

[2L’idée que sortir boire en terrasse est une façon de marquer sa désapprobation des « islamistes » met en œuvre une logique similaire.

[3Le terme de blanchiment peut aussi se comprendre en un deuxième sens, cette fois comme effet pragmatique du texte. En effet, exprimer de façon vocale et immédiate son adhésion à la rhétorique mobilisée dans ce communiqué est devenu l’un des marqueurs de la blanchité en France. Ces proclamations sont en cela l’équivalent des badges « Je Suis Charlie » : elles participent de fait à la construction de la blanchité française.

[4Comme le soulignent les signataires de la tribune « Guerre et terrorisme : sortir du déni » (Le Nouvel Observateur, 14/11/2020) : « nous en avons la conviction : moins de guerres et plus de justice déboucheront assurément sur moins de terrorisme. »

[7Comme le fait notamment Clémentine Autain, dans une tribune publiée dans Le Monde (« Clémentine Autain sur le combat contre le terrorisme : « J’alerte : la France est en passe de perdre pied », 28 octobre 2020). C’est aussi le terme qu’utilisent (quoiqu’entre guillemets) Alexandre Rios-Bordes et Dominique Linhardt, dans une tribune publiée dans Libération (« La lutte démocratique contre le terrorisme est un chemin de crête », 8 novembre 2020).

[8Cf. par exemple Françoise Vergès sur France Culture (16/06/2020) : « Il ne s’agit pas de dire que le racisme est une opinion, mais de comprendre que c’est structurel (...). Ça s’oppose à l’anti-racisme moral, c’est une question plus profonde. »

[9Courtney Cook, « Using Media to Know Better, Teach Better | Tools for Anti-Racist Teaching », PBS Learning Media.
https://www.pbslearningmedia.org/resource/using-media-to-know-better-teach-better-video/tools-for-anti-racist-teaching-virtual-professional-learning-series/

[10A l’air libre, n°40, émission Mediapart, 09/12/2020.

[11Laurent Bonelli et Fabien Carrié, « En finir avec quelques idées reçues sur la radicalisation », Le Monde Diplomatique, septembre 2018.

[12Edward Saïd, « The clash of ignorance », The Nation, 04/10/2001.

[13Collectif, « Guerre et terrorisme : sortir du déni », Le Nouvel Observateur, 14/11/2020.

[14D’abord, parce que les moqueries dirigées contre le christianisme ou le judaïsme ne suscitent tout simplement pas la même réaction de la part du public et du pouvoir politique (sans parler des atteintes à la « République », entité traitée de façon quasi-mystique dans le débat public et qui fait l’objet d’une sacralisation religieuse manifeste). Ensuite, parce qu’il n’existe tout simplement pas d’organes médiatiques susceptibles de se faire l’écho de caricatures contre d’autres croyances qui bénéficieraient d’une diffusion même de loin comparable aux médias qui véhiculent les caricatures de « Mahomet ».

[15Alice Simon, « L’attentat de Charlie Hebdo du point de vue d’élèves dits ‘musulmans’ », Agora débats/jeunesse, n°78, Presses de Sciences-Po, Paris, 2018.

[16Pierre Bourdieu, « Un problème peut en cacher un autre », in Interventions, 1961-2001 : sciences sociales et action politique, Agone, Marseille, 2002, p.305, cité dans Abdellali Hajjat, Marwan Mohammed, Islamophobie, comment les élites françaises fabriquent « le problème musulman », La Découverte, Paris, 2013, p. 20.

[17« A gauche, tous complices des islamistes ? », vidéo d’Usul pour Mediapart, 26/10/2020).