L’électroménager

, par Alain Brossat


une farce en appartement et en un acte

L’aspirateur (gueulant, du fond du placard) : Alors, ça y est ? Elle a décollé, la patronne ? Ah, je sais pas ce qu’elle avait, ce matin, mais il lui en a fallu, du temps, pour se remuer...
Le frigo (ricanant) : Oh, pas étonnant, vu ce qu’elle s’est enfilé hier soir... Eh, la télé, la télé – tu m’entends ? Qu’est-ce qu’y disent sur les manifs d’hier ? Les gilets jaunes ont pris l’Elysée ? L’ont pendu, l’autre ?
La télé (dans un soupir) : Tu parles... Plus de mille arrestations à Paris, des paquets en province aussi... C’est à se demander où ils vont mettre tout ce monde-là... Va falloir ouvrir des camps...
La bibliothèque (d’un ton de réprobation) : Ne rigole pas avec ça... J’ai là tout un rayon sur les horreurs nazies, le goulag, le laogai... c’est pas un sujet de plaisanterie...
Le canapé rouge : Oh, pas la peine de s’énerver... n’empêche qu’ils n’y sont pas allés de main morte... ça s’appelle pas des interpellations, tout ça, c’est des rafles... Même le petit Coupat qui prenait l’air dans sa voiture aux Buttes-Chaumont, ils l’ont coxé !
Le radiateur électrique (sardonique) : Oh, lui, il suffit qu’il soit dans une bagnole, le long d’une voie ferrée ou d’un parc public, ça suffit pour que la DGSI rapplique... peuvent pas se passer de lui.
Le cactus en pot (dans un soupir) : N’empêche qu’il s’est pris un rappel à la loi...
Le bidet (hurlant du fond de la salle de bain) : … pour avoir eu un gilet jaune dans son coffre ! Ça, c’est vraiment dingue ! Avant, si tu l’avais pas, le gilet, tu t’exposais à une amende – et maintenant, si tu l’as, t’es un casseur présumé et on te colle en GAV ! C’est comme les femmes sur les plages : pas assez habillées sous Pompidou – une amende ! Trop habillées sous Valls – une amende !
La machine à coudre (d’un ton sévère) : Moi, je trouve que vous prenez tout ça un peu trop à la rigolade... Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
L’ordi (posé sur la commode) : Quelle question ! On continue !
Les chaises du salon (en choeur) : On continue ! On continue ! Macron démission !
Le four micro-ondes (d’un ton exalté) : On bloque tout ! Les cahiers de doléances ! Les Etats généraux !
Tous en choeur : Cramons Macron ! Vive le Péril jaune ! Castagner en enfer !

(Le rideau tombe. Du fond de la scène s’élèvent les premières notes de la Carmagnole)