Dixit Joe

, par Idlir Nivik


Dixit Joe
(ou, Le kilométre zéro du vieillissement de l’Amérique)

Bunker de forme ovale, sécurisé.
Biden, une sculpture en cire.
Une mèche brûle au sommet de sa tête.
Biden-statue assis sur un pot de chambre.

La Mèche :
Dis Joe :
Tu n’as pas pensé à tout.
Ta pensée n’est pas un atout.
Toute flamme mais pas d’atomes du tout…
Dixie Joe !

(crépitement de la flamme)

La Mèche :
Dis Joe :
Quel malheur !
Des heures et des heures de malheur !
Tu as sauvé le monde pour ton malheur.
Dixie Joe !

(la flamme crépite encore)

La Mèche :
Dis Joe :
Ta tête œuvre, se travaille, en dessous de toi, fi !
La boule où manouvre ton fils.
Je brule le fil qui a cousu le père et le fils.
Dixie Joe !

(encore un crépitement)

La Mèche :
Dis Joe :
Ton amour pour l’Amérique est une Amor Matrix ?
Les morts peuplent ton amour pour la matrone Amérique ?
Tu vas encore tuer ses morts pour que la matrix subsiste ?
Dixie Joe !

(autre crépitement de la flamme)

La Mèche :
Dis Joe :
De l’argent s’est fait l’air que tu respires.
Là où c’est question de l’être ça sent l’argent et les sbires.
De l’odeur de ma flammèche on comprend la réaction de tes agents du pire.
Dixie Joe !

(Crépitement violent)

La Mèche :
Dis Joe :
Toi non plus tu ne peux pas résister à réveiller les morts précédents.
Que, pour les faire taire, tu veilles sur les procédés de ta copulation père-fils.
Puis tu t’endors sur ce rêve copieux de re-re-re- immortaliser l’Amérique.
Dixie Joe !

(crépitement)

La Mèche :
Dis Joe :
Le lait que ta nourrice a pompé en toi grésille dans ma flammèche.
Il s’atomise et retourne et se retire chez elle.
Et pour qu’elle allaite les enfants volés en plein jour tu lui prête ta bite.
Dixie Joe !

(crépitements comme éjaculations)

La Mèche :
Dis Joe :
De ton âme américaine ma lumière est fort nickelée.
Amateur de l’espace, tu pries le soleil d’étaler ton ombre jusqu’au fin fond d’une Russie.
Tu te payes le païen amateur et tu fais de ton âme une ruse.
Dixie Joe !

(crépitement bref mais explosif)

La Mèche :
Dis Joe :
Ta pisse est lente et longue, voilà qu’à l’autre bout elle aboutit chez ton fils.
Lui aussi est un chasseur qui tue, avec du napalm, la longue odeur de l’urine.
Braguette ouverte, tu te retournes vers le monde profondément informatique.
Dixie Joe !

(crépitement intense)

La Mèche :
Dis Joe :
Avec toutes les questions de ce monde tu en fabriques des réponses aussi jeunes que séniles.
Les micros argentés qui scintillent devant toi te semblent des écailles d’un océan blanc désormais déconstruit.
Aussi vieux que ce monde caillé tu te rendors, tu es et le sommeil et le lit.
Dixie Joe !

(crépitement plus intense)

La Mèche :
Dis Joe :
Dans ton rêve une algue fait ses soubresauts sous ta fenêtre, aussi grandes qu’une Chine.
Tu aiguise tes doigts en les frottant devant l’océan qui se recroqueville au sein de ton Amérique.
Comme avec une lame tu essayes de déchirer l’algue, son vert de baleine taquine ton blanc de cire.
Dixie Joe !

(crépitement bref, avant que la flamme meure)

La Mèche (à peine audible) :
Dis Joe :
Tu es dans un carrefour où l’est du ouest n’est plus.
Peinant de rester debout, tu te racontes l’histoire du père qui, pour tenir le coup, emprunte la voix du fils.
Avec ma voix éteinte je raconte l’histoire de ton gazoduc.
Dixie Jooooo…

La statue-Biden fond entièrement.
La cire remplit tout le pot de chambre.
L’objet prend la forme d’un champignon atomique qui, de sa part, prend la forme – momentanément rassurante, mais non moins dégoutante – d’un porridge britannique.

Voix d’Obama – essayant d’étouffer la gêne – dans le noir :
Parfois, la torche n’éclaire pas sa base*.
Dieu est, à la base, lumière ; notre ciel : sa chevelure.
Nos bases militaires la coiffent serviablement
avec des silures.

(Chœur des enfants jamais-nés des marins de Cuirassé Potemkine, devant l’escadron de la fusillade) :

Chœur :
Assez de la viande pourrie !
Faux frère, fous le camp, les statues fondent aussi
Fraye un chemin dans les ténèbres
Notre image te sera toujours un inconnu
Notre image aux oreilles
Sous une bâche, en attendant les tirs,
Nos oreilles-mailles, les alvéoles de notre cri
Sans commentaires, comment dire
La parole de ce cri
N’est plus la mère du mot,
Elle est masque, et sœur du film.

Note : ce texte s’inspire de la pièce courte Dis Joe de S. Beckett ; il suit exactement les mouvements de la caméra chez B.
*citation de Villiers de l’Isle-Adam

Idlir Azizaj