Scarifications et politique : destructions et (re)constructions des corps

, par Adrien Cascarino


Adrien Cascarino
Etudiant en Master 2 professionnel
UFR d’études psychanalytiques
Université Paris Diderot
adrien.cascarino@gmail.com

Afin d’étudier le lien entre scarifications et politique, nous commencerons par évoquer trois pratiques paradigmatiques illustrant chacune un type d’articulation particulier, puis nous nous intéresserons au dénominateur commun de ces articulations.

Tout d’abord, les entames de soi, souvent adolescentes, effectuées dans le secret et souvent dans la honte, semblent isoler le sujet du politique et rendre l’extérieur impuissant à soulager les souffrances psychiques qu’elles révèlent ou induisent. On pourrait ainsi considérer ces entailles comme une manière de se « couper » de la politique, comme une négation de la politique ; comportement morbide donc, qu’il s’agirait d’empêcher pour la
sauvegarde de l’individu.
Les coupures du corps contemporain pratiquées lors des performances du Body Art seraient à considérer différemment puisqu’elles s’inscrivent le plus souvent dans un discours de remise en cause du politique et plus particulièrement du biopolitique, devenant donc ellesmêmes
des actions politiques de résistance.
Enfin, les rituels traditionnels réfracteraient une autre composante de ce lien puisque l’entaille symboliserait la soumission au politique, l’inscription du politique sur le corps naturel.

Parallèlement à ces différentes articulations, les incisions volontaires de la peau ont en commun l’affolement et l’investissement du politique qu’elles suscitent. L’entaille délibérée évoque en effet la mutilation possible du corps, son démembrement, en rappelant l’expérience originelle de la naissance où l’individu se retrouve amputé et coupé au sens propre du corps maternel qui était auparavant confondu avec le sien, le corps fondamental naissant ainsi d’une automutilation, d’une transformation incroyable.
Les scarifications, en évoquant cette coupure originaire, tentent de défiger le corps, de le dégager d’un ordre biologique ou culturel ressenti comme écrasant, et de permettre une appropriation et une définition subjective du corps, définition toujours en mouvance. Elles rappellent ainsi la plasticité originaire du corps et donc l’ensemble des corps possibles dans
lesquels le sujet peut s’incarner.
L’incision de la peau, en faisant voler en éclat le caractère illusoire d’un corps unifié et cohérent, dé-range ainsi le politique et sème le trouble parmi des corps supposés stables, classifiés et hiérarchisés.

Le succès de cette tentative du passage d’un corps fixé à une pluralité des corps dépend alors grandement de la réaction du politique.
Si celui-ci tente d’interdire les scarifications, ces dernières risquent de se répéter avec d’autant plus de force, parfois jusqu’au tragique, afin de lutter contre le sentiment d’une nouvelle réduction du corps.
Un encadrement des incisions de la peau, qui distinguerait les entailles acceptables d’autres qui seraient pathologiques ne pourrait qu’assécher la portée symbolique des scarifications et leur potentialité créatrice.
Toutefois, l’indifférence du politique à l’égard de ces actes ne serait pas davantage souhaitable car l’aliénation du corps ressentie par l’individu demande à être entendue et reconnue avant de pouvoir être dépassée.
Le rôle du politique serait donc d’accueillir ces ouvertures du corps, sans négliger ni la souffrance, ni la potentialité subjectivante qui les accompagnent.