Y - Yourte

, par Sylvie Parquet


Une yourte dans un bois, y vivent une femme et ses deux enfants. Travailleuse saisonnière, la mère a acquis ce terrain en deux fois pour des petites sommes. Le terrain n’était pas cher car non constructible. De toute façon elle n’a pas les moyens de s’acheter une maison, alors elle y installe une yourte. La yourte est un habitat traditionnel de nombreux nomades habitant en Asie centrale. Elle est faite d’une ossature en bois recouverte de feutre. Il y a un poêle au centre avec une évacuation pour la fumée. Cette habitation n’est plus très usitée évidemment, même en Asie centrale mais elle reste un habitat démontable, chaud, et tout à fait « respectable ».
Il est même très à la mode de s’offrir un WE en yourte ou en roulotte, pour la sensation, pour gouter aux habitats traditionnels réservés aux pauvres… Comme c’est charmant !
Et pourtant, quand il s’agit d’une femme qui offre ce qu’elle peut faire de mieux à ses enfants, les réactions sont bien différentes ! Plus d’exotisme mais une nuisance, plus de sensation mais une pollution visuelle, plus d’orientalisme mais une verrue dans le beau paysage français !
Alors du balai, toi et ta yourte, dégage de ton terrain, tu ne peux rien mettre ici, tu dormiras à la rue.
C’est ainsi que cette femme doit démonter sa yourte et se retrouver… mais où ? Où vivra-t-elle avec ses enfants ? Que lui propose la société ? Un beau logement avec tout le confort et une chambre pour chaque enfant ? Non bien sûr…

Mais cette fois-ci elle ne se laisse pas faire, elle connaît du monde, des copains, des relations qui savent qu’elle se débrouille comme elle peut, qu’elle s’occupe bien de ses enfants, qu’elle travaille dès que possible etc. Alors elle les interpelle : aidez-moi, je ne partirai pas ! Et là, la solidarité s’organise, il y a des rassemblements devant la Mairie, des sit-in, des actions d’information, une campagne dans les villages alentours et finalement elle obtiendra gain de cause : on lui fichera simplement la paix ! Elle restera. Etait-ce tant demander ?

Ce minimum de respect pour un être humain est-il si difficile à supporter pour les bien-pensants ?

Mais voilà si cette femme a conservé sa yourte combien ont été spoliés de leur habitat précaire ? Combien de yourtes démolies ? Combien de cabanes abattues ? Combien de tentes jetées à la poubelle ?
Et si elle n’avait pas été si « respectable » ? Malade par exemple, handicapée, addict à l’alcool ou autre, n’aurait-elle pas pour autant mérité de l’attention, quelques égards ? Un endroit pour se protéger ?

Quoi qu’il en soit on voit ici jusqu’où peut aller la haine de l’autre, du différent, de celui qui tente de survivre et ainsi crée une approche d’un mode de vie en dehors ou presque des circuits de la consommation. Car si cette femme habitait dans une yourte, certes par manque de moyens, elle était également dans une démarche de décroissance. Consommer moins, acheter des produits locaux, recycler au maximum, participer à des circuits d’échanges gratuits...

Dans cet exemple nous voyons à l’œuvre l’exercice du pouvoir. Contraindre cette femme à quitter sa yourte, même cachée des regards, c’est montrer à tous qui est aux commandes. A elle en premier : « crois-tu femme de peu, que tu vas pouvoir vivre comme tu l’entends, comme tu le veux ? »
Mais c’est aussi faire passer le message à tous que même une petite transgression n’est pas acceptable. Si planter une pauvre yourte de toile est interdit alors tremblez braves gens. Vous n’avez plus non plus le droit de fumer dans votre propre voiture ou sur un quai de gare, vous ne devrez plus dépasser la vitesse sur les routes de plus de 5 km/h, vous ne pouvez pas vous adonner à une petite fumette, tout cela au nom de votre bien-être et de celui des autres. Pas le droit de courir dans la rue sans être soupçonné de délit de fuite… Surveillé à chaque coin de rue par des caméras… A chaque instant le regard de Big Brother est sur vous pour des broutilles.

Femme dans ta yourte, n’oublie pas que tu te dois d’être soumise ! Le pouvoir sans limite des dirigeants peut s’exercer tranquillement pendant que tu es préoccupée par ton logement. Fumeur où peux-tu aller pour t’adonner à ton abominable vice ? Alors que pendant ce temps on t’arrange tes conditions de travail ? Automobiliste récalcitrant, ne t’avise pas d’essayer de contester l’état d’urgence…
L’adhésion à ces recommandations, précautions soi-disant indispensables pour nous préserver en bonne santé est extrêmement forte. C’est la force de cette idéologie de nous montrer que l’on prend soin de nous et de nous y faire participer au prix de notre liberté. Ce dispositif triomphe et pourtant il y a Notre-Dame-des-Landes, refus de vivre dans les normes [1].

L’aéroport ne sera pas construit. Philippe ne le saura jamais puisqu’il est mort. Les journaux ont été obligés d’en parler, mais toutes ces petites résistances dont les media n’ont cure, ne servant qu’à nettoyer, soi-disant, les écuries d’Augias, tout en instillant le dérisoire parfum de la bien-pensance, c’est à nous de les raconter : cette histoire de yourte avec ses solidarités et toutes celles qui autour de nous sont à l’œuvre.
Les expériences de communautés ou d’individus qui cherchent à vivre, consommer et produire différemment doivent être mises en avant. Beaucoup ne sont que des réponses individualistes, une façon de se protéger des agressions du monde du travail habituel, même si elles participent souvent à des actions solidaires. Et si elles ne sont pas une réponse globale à la société capitaliste, elles sont un début de remise en cause, elles autorisent le refus de cette société par leur exemple. Elles montrent l’autrement possible.
C’est d’un nouvel imaginaire que nous avons besoin.