La production de l’ignorance Atelier de philosophie plébéienne

, par Philippe Roy


Gîte Le Closet Fertans (17-19 gde rue, 25330)
Samedi 10 février 2018

Atelier de philosophie plébéienne

Atelier... cela veut dire un essai d’abandon de l’autorité du maître et de la posture d’élève au profit d’une tentative de production en commun.

Centre de Réflexion et de Documentation sur les Philosophies Plébéiennes
de l’association « Voyons où la philo mène... »

La production de l’ignorance

9h Accueil

9h30-11h30 « Avons-nous des trous de savoir ? » Orgest Azizaj

Le statut du savoir a toujours fait question pour l’homme : par rapport à soi-même, par rapport au monde, et par rapport à son être en commun dans la société. Platon se demandait : Qui doit savoir ? - soucieux de maintenir dans la cité un partage entre savants et ignorants pour la meilleure gestion des affaires communes. Kant se demandait : Que puis-je savoir ? - soucieux de maintenir le partage entre des objets qui relèvent de la connaissance humaine et ceux qui n’en relèvent pas (mais relèvent, par exemple, de la foi). Or, c’est avec la psychanalyse (science des trous, s’il en est) qu’apparait, sous la forme du « déni », une nouvelle figure négative par rapport au savoir : non pas un partage des sujets (qui sait et qui non ?), ni un partage des objets (lesquels peuvent être connus et lesquels non ?), mais un partage du sujet lui-même, sous la forme : Je ne veux pas le savoir. Zizek insistera pour y reconnaitre la forme même du comportement idéologique (« je sais bien, mais quand-même »). Introduit dans un conflit de forces (forces psychiques, forces sociales...), le savoir n’est plus un, ni homogène, ni continu, ni progressif, mais fracturé, hoquetant : divisé en fronts, ramassé en nœuds, parcouru de trous. Le non-savoir est parlant, car il en dit plus sur le réel que le savoir. On peut alors renverser la perspective, et demander non plus le qui et le quoi du savoir, mais le comment et le pourquoi de l’ignorance. Il y aurait ainsi, une science (paradoxale ?) des ignorances et des mécanismes qui les produisent. Elle parlerait de nous, et de nos multiples aveuglements, organisés ou consentants. Elle a même été baptisée récemment du nom grec d’Agnotologie. Elle est jeune, mais pas si innocente que cela. Et elle gagne à être connue.

11h30 Apéro puis repas

15h-17h « Des gestes de lecteurs : sortir du flou » Claire Aubert

Produire l’ignorance consisterait à « laisser volontairement dans le flou » certains points. Et quelques mauvais esprits iraient jusqu’à chercher à qui profite ce flou ? Plongeons donc dans le flou qui entoure le mot simple et répandu de « lecture », armés pour cela de questions naïves et de nos propres expériences :
- où je suis quand je lis, comment j’ai appris ? De quoi sont faites nos propres façons de faire ? Comment se sont-elles construites ?
- à quoi tient cette frontière entre « lecteurs » et « non-lecteurs », désignée par le monde des bibliothèques, voire le monde culturel ?
- de quoi nos rapports respectifs à la lecture nous rendraient responsables, en tant que pédagogues, intellectuels, parents, voisins, habitants, professionnels, militants ?
En colportant ces questions auprès d’autres lecteurs, en faisant résonner leurs propos avec quelques constats simples, en les mettant en perspective avec des travaux sociologiques et philosophiques, nous en arriverons peut-être à échafauder des « gestes » de lecteurs, pour toucher du doigt les conséquences éthiques et politiques de nos impensés de l’écrit.
Ces questions floues pourraient bien nous amener à parler de responsabilité des intellectuels : ce que je choisis d’assumer plutôt que d’ignorer, pour agir dessus. Voire de conséquences pratiques en matière de pédagogie : comment présupposer le moins possible des personnes avec qui je travaille ? Ou encore du parti pris de l’égalité des intelligences proposé par Rancière, qui propose de soigner ses ignorances.

17h15-19h15 « Faire l’idiot. Columbo, inspecteur anti-patricien » Olivier Razac

Nous nous intéresserons à cette figure de la culture populaire médiatique pour trois raisons : 1. Afin de saisir certains traits caractéristiques de la conflictualité plébéiens/patriciens. D’abord, Columbo est un personnage qui condense d’une manière remarquable tous les signes de plébéianité (origines, corps, gestes, habillement, discours etc.). Certes en incarnant aussi une autorité étatique policière. Ensuite, il met en oeuvre une méthode d’enquête, de recherche de la vérité, qui ne consiste pas à dire le vrai contre le faux, mais à faire chuter d’une manière socratique une prétention de vérité par la tactique du vide : "Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?" Certes en déconstruisant moins des sophismes que des mensonges. Enfin, il ne s’attaque qu’à des "grands" (par héritage, par arrivisme, par spoliation) qui pensaient échapper à la justice commune grâce à leur intangibilité (sociale et donc juridique). Certes au nom de la loi et pas de la révolution.
2. Ce travail d’enquête critique contre des puissants implique une torsion décisive des principes de la morale libérale selon laquelle on ne doit pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse. Pour faire apparaître la vérité, Columbo n’hésite pas à manipuler émotionnellement et discursivement ses interlocuteurs, à tendre des pièges, voire à mentir et constituer des fausses preuves. Ces entorses manifestes aux règles de procédures ne se font pas au nom d’une raison d’Etat, mais au nom d’une relativité de la morale entre les faibles et les puissants. La règle libérale (dès lors libertaire) ne vaut qu’entre égaux. Une trop grande concentration de puissance sociale produit une torsion einsteinienne de l’espace-temps de la morale, objectivement et pas par caprice arbitraire. Ce que nous illustrerons rapidement avec le film "Merci Patron !" de François Ruffin.
3. Enfin, nous rebouclerons la boucle en interrogeant le succès populaire d’une telle figure. Les spectateurs sont idiots, ils n’ont rien vu de tout cela : hypothèse à rejeter. Les spectateurs se vengent en représentation des affronts politiques subis, de telle manière qu’ils n’agissent pas dans le réel : hypothèse probable, mais insuffisante. L’affinité des spectateurs avec cette figure plébéienne témoigne, à la fois, de ressources de colère toujours exploitable (même chez la "ménagère de moins de 50 ans") et de ressources cognitives et morales déconstruisant toujours déjà la falsification de la morale libérale.

19h30 Apéro puis repas

Tarif de la journée (interventions + repas midi) : 20 €. Repas du soir : 10 €. Nuitée du samedi : 20€
Week-end complet (avec repas et nuitée du vendredi soir) : 75 €. Réduction pour chômeurs, étudiants et enfants.
Possibilités de transport depuis les gares de Besançon le vendredi (maximum 20h), retour le dimanche (minimum 11h30).
Inscription et renseignements :
crdpp25@gmail.com ou Philippe Roy 06 51 38 43 45
http://reseau.philoplebe.lautre.net/