Chronique des événements courants

, par Colonel Mario Gibié


A supposer d’une part, comme cela a été à peu près démontré par un savant gérontologue russe, que Jeanne Calment, doyenne supposée de l’humanité, morte à l’âge tout aussi supposé de 122 ans, ne soit pas elle-même mais sa fille ayant usurpé son nom afin de continuer à toucher l’assurance puis de défrayer la chronique en qualité de vraie/fausse super-centenaire – la vraie Jeanne étant morte dès les années 1930 ; à supposer d’autre part que le dit Houellebecq, Michel, énergumène littéraire et dégueuleur professionnel, ait été décoré de la Légion d’honneur, comme cela a été publié par les journaux, médaille qu’il s’en est allé aussitôt exhiber, épinglée à la braguette, dans les salons tricolores ; à supposer enfin, comme cela a été écrit aussi, que ladite merdaille appartenait au même lot que celles attribuées, dans les mêmes circonstances, aux joueurs de l’équipe de France de football en récompense de leurs exploits, et dont on remarquera au passage qu’ils font, eux, du moins, un usage plausible de leur tête (elle leur sert à propulser la balle au fond des filets de l’équipe adverse) ; à supposer, donc que ces trois faits puissent être considérés comme définitivement attestés et établis...

Alors il nous faut statuer sans hésitation que l’année 2019 a bien commencé. Ceci dans la mesure visible et vérifiable où elle se trouve placée sous ce double signe : tout est possible (Hannah Arendt), tout est permis (Fiodor Dostoievski).

Mais si c’est alors sous ce signe que tout se trouve désormais institué, il nous revient de nous tenir à la hauteur des conditions nouvelles – celles de l’année commençante dont on sait qu’elle sera, dans quelques semaines et selon l’inflexible calendrier lunaire, celle du Cochon. A ce propos, il nous reviendra donc d’admettre franchement, par exemple, que, du gros Alex et du petit Manu, il devient de plus en plus difficile de dire lequel est le commandant suprême des Armées et lequel le mercenaire ; de reconnaître que, lorsqu’ils échangent leurs quotidiens coups de fil (ah, c’est-y pas de la belle bromance, ça !), l’on ne saurait plus trop dire lequel demande à son buddy : « T’esoùlà ? – chez Déby ou chez Bongo ? – Je voulais te demander : les gilets jaunes, là, je leur envoie les tanks tout de suite, là, ou j’attends un peu ? »... « J’attends le week-end prochain ? OK, ça roul’, ’heurs’ment qu’t’es là, t’es un vrai pot ’, toi, ch’ais pas c’que’jfrai sans toi ! ».
C’est fou, quand même, ça force l’admiration, une symbiose pareille, c’est comme les Goncourt – impossible de dire lequel il a écrit quoi, et pareil pour l’autre... Sauf que les Goncourt, eux, ils écrivaient des espèces de romans naturalistes vaseux/graveleux que tout le monde a oubliés (tiens, citez m’en un pour voir, des titres des Goncourt... ?!), tandis que le gros Alex et le petit Manu, eux, c’est l’Histoire de France qu’ils écrivent, à quatre mains !

Mais comme l’a bien vu Méluche qu’est pas allé à l’Ecole de la République pour rien, le tout est possible version 2019, c’est aussi la probabilité que le remuant Drouet des gilets jaunes, celui-là même qui va écoper d’un mois ou deux pour port d’armes de catégorie D (un décapsuleur ? Un coupe-ongles ?), soit la pure et simple réincarnation du tout aussi remuant Drouet qui, dans La nuit de Varennes d’Ettore Scola, reconnaît le roi en fuite et est interprété par Yves Collignon, un acteur formé au Conservatoire de Bruxelles. Tout devient possible, en 2019, y compris qu’Yves Collignon soutienne les gilets jaunes. Pas Ettore Scola, malheureusement, il est mort. Mais Méluche qui, lui, est bien vivant et même pétant de santé, il reconnaît le roi failli tous les jours, à la télé, et, le montrant du doigt d’un geste auguste, lance à la foule qui trépigne : « Le roi est nu ! Le roi est nu ! ».

Mais alors si tout est vraiment possible, pourquoi exclure que notre fougueux Drouet puisse être, aussi bien, la réincarnation de Minou Drouet, une enfant prodige qui, dans les années 1950 et 60, ravit le public avec ses poèmes précoces, puis ses chansons pour tous les publics – « Le twist (pas le tweet) du Bon Dieu », « La Saint-Cacahuette », « Les spaghetti » – même que vous pouvez tous les entendre sur Youtube. Une fougueuse, elle aussi – sinon on l’aurait pas rebaptisée Minou, alors qu’en vrai, elle se prénomme Marie-Noëlle...

Eh bien, tout étant possible en 2019, que le mouvement, plutôt que se laisser étourdir par le miroir aux alouettes du RIP, adopte comme chant de guerre et cri de ralliement « La Saint-Cacahuette » et, ainsi ragaillardi, retrouve en essaims compacts le chemin des ronds-points.
Car comme le disait le camarade Bartleby : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour préférer ne pas ».