Chroniques de guerre

, par Luca Salza


On doit mettre le gilet jaune quand il y a un danger. Quand on pose une roue sur le bord d’une route. Quand il y a un accident.
Le néolibéralisme est une urgence continue. Dans le néolibéralisme, beaucoup de gens ne peuvent pas ne pas mettre ce gilet jaune. Ils doivent le porter tous les jours. Quand ils livrent des repas tout prêts dans les rues de la ville. Quand ils portent des colis, des paquets. Quand ils travaillent sur un chantier. Mais également quand on fait des queues kilométriques à la poste. Quand on respire l’air pollué d’une métropole. Quand on mange des pesticides. Quand on conduit une voiture uber.
Gilet jaune signale tout d’abord la catastrophe en cours. Une catastrophe qui implique 99% de la population. Coût de la vie, école publique et hôpitaux en sursis, pollution de l’eau, de la terre, des cieux, des bombes nucléaires, des salaires bas ou inexistants, des vies de travail, des enfants qui ne se voient pas grandir, des couples éclatés, l’amour au temps de la Loi El Khomri, Universités appauvries. Nous sommes tous en danger. On est tous acheteurs et vendeurs, on achète et on vend tout, maison, voitures, vélos, travail, mais notre capital humain ne suffit plus, il ne suffit pas. Et alors on met le gilet jaune.
D’autres guerres menacent les corps mêmes des vivants. Une gigantesque guerre civile en cours. La mort erre partout. Des éclats de balle à chaque coin de rue. Des murailles construites à nos portes. Des portes plus fermées que celles de Kafka. Il faut en tenir compte.
Quelqu’un qui ne veut pas mourir, que doit-il faire ? Que doit faire d’autre un chômeur, un lycéen, né et élevé sous Vigipirate et Parcoursup, un travailleur précaire, une femme au salaire modeste, une retraitée, un migrant, sinon signaler l’état de danger dans lequel vivent lui, ses frères, ses filles ? Mettre un gilet jaune.
Mais le jaune est aussi la couleur que l’on utilise pour surligner, pour mettre en évidence. Aux Macron, aux Juncker et aux autres membres du comité d’affaires, ça fait peur, terriblement peur, qu’après 30 ans de boucherie sociale, il émerge un mot, juste une couleur, pour dire simplement « ça suffit ». « Non ». « Maintenant, vous devez partir ». Le jaune exprime un refus. Il nous dit que ceux qui sont en danger savent tout. Ils savent qu’ils vivent dans la catastrophe. Dans le danger quotidien. Ils refusent les politiques de la catastrophe. Ils veulent montrer leur souffrance, leur rage. Ils mettent un gilet jaune pour se faire voir. C’est simple. Trop simple aussi. Des mots clairs, banals, qui, pour une fois, arrivent à tout le monde. Pas comme les slogans rassis de la République-Nation. Une langue universelle à partir du bas. Des mots qui disent seulement, nous voilà, nous sommes ici, sous votre maison, « je viens te chercher, oui monsieur le Président ».
Pouvoir de la destitution.