Contre le crétinisme électoral (ter)

, par Alain Brossat, Alain Naze


Pourquoi ter ? La première fois, c’était il y a dix ans, quand parut dans une revue de la radicalité chic, Vacarme, un appel à voter « utile », c’est-à-dire dans les circonstances d’alors, Hollande, apostrophant au passage, et sur quel ton, les imbéciles qui persisteraient à prôner l’abstention active dans ces circonstances où s’imposait aux yeux des premiers (les apostropheurs) l’impérieuse obligation tant morale que politique, en un mot, citoyenne, de faire barrage à Sarkozy. Le slogan désormais en vogue deviendrait donc : « Abstention piège à cons » – sinistre retournement de la formule de Sartre, signifiant au fond un retour à la niche (citoyenniste). Il nous fallut donc, à cette occasion, rompre avec ceux qui parmi ces dévots du vote utile et vertueux, nous avaient pris de si haut et que nous considérions encore, alors, comme des amis – le ton comminatoire crée alors la rupture, franchissant les limites du désaccord, fût-il vif. Ce que, dans la suite des temps, Hollande devait faire de leur vote utile, ils eurent cinq interminables années pour s’en faire les témoins désolés et, on l’espère, repentants. Et puis ce fut, il y a cinq ans, cet habitué de nos colonnes qui, emporté par la fièvre macroniste alors si contagieuse se prit à nous traiter de tous les noms, jusque dans les colonnes des magazines de salle d’attente dentaire, sous prétexte que non, décidément non, nous n’irions pas voter pour son homme providentiel, histoire de faire barrage à Marine. Dûment bastonné, il s’évanouit comme cette chimère qu’il n’avait jamais cessé d’être (ou plutôt se jeta un temps dans les bras d’Onfray, ce qui souligne sa vista politique) – good riddance.
Et puis voici que ça recommence, comme pour convaincre ceux qui en doutaient encore, que les élections, et tout particulièrement, en France, la reine d’entre elles, la présidentielle, c’est vraiment la machine à décerveler, comme si la machine médiatique appareillant cette grande messe électorale était si puissante qu’elle était capable d’emporter aussi des gens d’ordinaire plus regardants quant à de tels effets hypnotiques : sous une signature nébuleuse paraît sur ce site même un appel enflammé en faveur du vote pour Mélenchon et qui constitue le plus parfait condensé de la sottise électoraliste qui se puisse imaginer. Or, c’est malheureusement une règle que ce genre d’effondrement mental (se produisant dans le temps de la narcose électorale) n’a pas la simple consistance d’un accident, d’une glissade, d’un lapsus dont ceux/celles qui en sont victimes se relèveraient promptement, comme on sort d’une cuite carabinée, au lendemain de la farce ou la frairie électorale. C’est plutôt tout un pli qui se dessine ici : qui a voté votera, qui s’est laissé capter par la rhétorique électorale y succombera à nouveau, qui s’est laissé emporter par la pseudo-pragmatique électoraliste y reviendra, c’est une addiction, une forme de maladie récidivante, le palu ou la malaria de la politique institutionnelle, une fois piqué par le moustique du vote utile et de la philosophie (LOL) du moindre mal qui va avec, on est infecté et les crises de fièvre reviendront, au rythme même du calendrier électoral, avec les bouffées délirantes qui vont avec [1].
Ça recommence, et donc, une nouvelle fois, il nous faut en découdre avec la Grande Bêtise électoraliste. Sur ce point comme sur quelques autres (la Palestine, la guerre d’indépendance des Algériens, la Colonie et la criminalité policière...), nous ne lâcherons jamais, quand bien même notre carnet d’adresses dût-il se trouver réduit de ce fait même à sa plus simple expression.

Le crétinisme électoral, donc, ça commence quand des gens supposés éclairés se mettent à prendre au sérieux et à envisager comme des engagements pour l’avenir les discours de campagne et les promesses, les effets de manche et les prouesses d’estrade des candidats à une élection ; plus les candidats se tiennent éloignés des votants lors de cette opération, et plus on peut être assuré que ces promesses n’engagent que les faibles d’esprit qui y croient. A ce titre, l’élection présidentielle est donc bien l’épreuve reine – celle à l’occasion de laquelle programmes et promesses des candidats (et pas seulement quand ils sont inscrits sur la ligne d’horizon de 2050, quand ceux/celles qui les énoncent seront morts) les engagent le moins. Dans le cas présent, donc, le crétinisme électoral, c’est ce qui consiste à penser que dans l’hypothèse où Mélenchon parviendrait aux affaires (une pure expérience de pensée, au demeurant), l’une de ses premières décisions consisterait à régulariser les sans-papiers, conformément à ses engagements de campagne – cela n’est pas sans rappeler la promesse socialiste, toujours ajournée, d’accorder le droit de vote aux immigrés. Tout au contraire, bien sûr, l’un des premiers reniements du rhéteur drapé dans le drapeau de la République et hissé sur le pavois à la faveur d’un improbable concours de circonstances consisterait à ne pas tenir cet engagement, ce qui conduirait les mouvements et associations concernés (parmi lesquels, on peut l’espérer, le « QG décolonial » et ses troupes compactes) à descendre dans la rue pour le rappeler à ses obligations, là où ils seraient tout aussi assurément accueillis avec la même proverbiale bienveillance qu’au temps d’avant, par la même police républicaine, équipée des mêmes matraques et lance-patates que jadis et naguère (quand bien même, verbalement, Mélenchon en appelle à ses potentiels électeurs pour exiger que les élus FI tiennent leurs engagements, une fois élus) – placée désormais sous l’autorité du mini-Corbière en lieu et place du petit Darmanin – la belle affaire [2] !

Ce qui est proprement sidérant dans le texte publié par les courageux anonymes du « QG décolonial » [3], c’est sa radicale absence aux conditions réelles de cette séquence électorale : une campagne spectrale autant qu’émétique sur fond de dégoût généralisé de ce qui apparaît aux yeux des gens de façon toujours plus évidente comme un pur simulacre, une grimace du pouvoir des élites en mal de reconduction. Pour le « QG », le motto, ce n’est pas « un seul être vous manque et tout est dépeuplé » – juste l’inverse : un seul Mélenchon providentiel suffit à ce que ce désert qu’est la présente campagne soit magiquement repeuplé, et de la manière la plus enchanteresse ; bien loin que le spectacle mortifère de l’actuelle campagne soit l’occasion pour les décoloniaux ralliés à l’Insoumis en chef de pousser plus avant leur réflexion sur la déréliction du dispositif prétendument représentatif, au temps de la démocratie du troisième âge, les voici qui, basculant tout de go dans l’enthousiasme pour ce social-patriote de la plus belle eau (quoiqu’également tardif), oublient tout de ce qui est effectivement en jeu dans le dispositif structurel d’une élection présidentielle en France : une opération se produisant non pas dans l’espace de la représentation, sous aucune forme que ce soit, mais bien dans celui de la prise d’ascendant des élites sur les gens, des gouvernants sur les gouvernés, opération conduite dans des formes réglées destinées à la parer d’une apparence de légitimité.
Le crétinisme électoral, c’est en l’occurrence ce qui va conduire des décoloniaux déclarés (mais sous emprise) à engager le crédit dont ils peuvent jouir auprès d’une partie des racisés et assimilés pour tenter de convaincre ceux-ci d’apporter leurs suffrages à l’un des protagonistes les plus endurants de l’opération toujours plus dérisoire de remise à flots du dispositif pseudo-représentatif en mode présidentialiste-bonapartiste.
Or, insistons sur ce point, il se trouve que ce personnage est un social-patriote notoire, un de ces « républicains » bien de chez nous chez qui la ferveur tricolore et l’adoration des emblèmes de ladite République ne sauraient se séparer de la plus naturelle des présomptions impériales : avec Mélenchon, comme avec la quasi-totalité de ses concurrents, les confettis de l’Empire, c’est du sacré et la mission civilisatrice et humaniste de la Patrie des Lumières ne se dément jamais. Social-patriote et social-impérialiste, c’est tout un et on n’aura ici que l’embarras du choix, dans les déclarations et prises de position circonstanciées de l’élu du « QG », pour valider cette affirmation. Du coup, on sera porté à se demander de quel bois peuvent bien être faites les convictions décoloniales de ces néophytes de la mélanchomania saisonnière qui avalent sans sourciller les rodomontades de leur chouchou à propos de la lutte contre les envahisseurs comoriens à Mayotte (et pour qui l’appartenance de Mayotte à la France ne fait pas question [4]) ou de quelques drapeaux français brûlés dans les rues d’Alger [5] – dis-moi qui tu soutiens, je te dirai ce qu’il en est de la qualité de ton anticolonialisme, de ton décolonialisme porté en sautoir...

Selon toute probabilité, Mélenchon, n’ayant pas franchi le cap du second tour, appellera toute honte bue et en bon politicien du sérail qu’il est, à voter pour Macron au second round (sans doute sous la forme utilisée pour la dernière présidentielle : « Pas une voix pour l’extrême-droite », ce qui est la moindre des choses, mais ouvre tout autant à un vote Macron qu’à l’abstention) non sans s’être acquitté du tour de passe-passe consistant à « consulter ses adhérents » – ceci au nom de l’increvable outre vide du « barrage » à Marine. Le moment sera alors venu pour nous de demander aux enthousiastes du « QG » : tout ça pour ça ? Toute cette usine à gaz et ce grotesque tour de piste pour ce résultat ? Irez-vous jusqu’à suivre votre candidat (« la meilleure offre », on se croirait dans une école de commerce...) jusque dans cette ultime palinodie, en contribuant à remettre en selle tout ce contre quoi il vous avait appelés à vous mobiliser ? En apportant votre écot à ce qui est la plus parfaite incarnation du désastre du présent – histoire d’être fidèles à votre égarement jusqu’au bout ? Avant même que la comédie du premier tour ne se soit jouée, la bulle Mélenchon crève et le Matamore se tire dans le pied en laissant entendre que, les choses étant ce qu’elles sont, il appellera à voter pour Macron... dès le second tour. Autant dire que tous les « tours » précédents auront été just for the show et que la vraie religion de tous ces gens-là, une fois les sunlights éteints, c’est le plus parfait des immobilismes. L’Annonce faite au candidat à sa propre succession par le chef des Insoumis (pas à la superstition électoraliste, en tout cas) expose ici en pleine lumière le leurre parfait que constitue l’opération « Election présidentielle » – un parfait village Potemkine, une fois encore.

Plutôt que s’extasier sur les beautés du programme de carton-pâte de leur candidat, nos décoloniaux, en pleine crise de somnambulisme seraient bien inspirés de se demander d’où ça vient, cette engeance, quelle en est la provenance. La réponse est distincte : le moule dans lequel a été fabriqué Mélenchon, à l’égal des Jospin, Cambadélis, Stora et quelques autres de même qualité gouvernementale, c’est le lambertisme. Le lambertisme est un courant issu du trotskysme historique dont le propre a constamment été de tendre un pont entre des énergies issues de la tradition marxiste révolutionnaire et les appareils de la social-démocratie, voire, au-delà, les boutiques obscures de l’anticommunisme institutionnel, via notamment le syndicat Force ouvrière. A ce jeu, c’est toujours la social-démocratie qui gagne en recyclant quelques belles bêtes politiques dont elle fait des sénateurs, des députés, des ministres, des historiens assermentés, etc. Le milieu dans lequel ces petits maîtres-là évoluent comme des poissons dans l’eau, ce sont les appareils politiques et syndicaux, les confins incertains de l’Etat et de la planète militante (la MNEF a longtemps été une mine d’or pour la micro-bureaucratie lambertiste), les « bons plans » en tous genres et qui rapportent gros à tous égards – phynances non moins que réseaux...

Concernant Mélenchon, longtemps sénateur PS, l’arbre du « populisme » supposé cache la forêt d’un profil des plus triviaux : un néo-réformisme dont la caractéristique fondamentale est qu’il surgit à contretemps – le réformisme classique peut prospérer à deux conditions : une période de « croissance » fondée sur un modèle productiviste classique et donnant leur élan à un progressisme et un optimisme en trompe l’œil, d’une part, et de l’autre l’existence d’un patronat qui, pour un part au moins, « joue le jeu » de la réforme et de la collaboration entre « partenaires sociaux » – avec à la clé des augmentations de salaires, la réduction du temps de travail, l’amélioration des conditions de travail – en partenaire de l’Etat social.
Or, le propre de l’époque actuelle est précisément de ne remplir aucune de ces deux conditions ou plus exactement de leur tourner le dos. C’est ce qui explique que, dépourvu de tout espace politique ou historique propre, de toute marge de manœuvre réelle, le réformisme gâteux à la Mélenchon se doive de se parer de plumes d’Indien, histoire de nous ouvrir les portes de l’espace enchanté d’un Front populaire en forme de Disneyland. Ce qui rend Mélenchon si braillard et porté à toutes les surenchères, ce n’est pas seulement son atavisme lambertiste (il y aurait tout un traité à écrire sur la rhétorique et la gestuelle lambertistes), c’est surtout le fait que son projet politique, en tant qu’il est tout entier circonscrit dans les espaces de la politique institutionnelle et appareillé par celle-ci, n’a pas davantage de chance d’embrayer sur les conditions du présent que les tentatives de ses équivalents dans l’étranger proche – Syriza en Grèce, Podemos en Espagne...
Comment se peut-il que ceux qui, aujourd’hui, tombent sous le charme de l’Insoumis charismatique (à condition d’être bon public) ne se posent jamais la question de savoir par quel miracle l’avenir sourirait, dans des conditions pas si différentes, à ce réformiste tardif, là où le sol s’est effondré sous les pieds de ses semblables dans des pays proches ? Ou bien alors est-ce que nos décoloniaux, tout émoustillés à l’idée de le voir flirter par la grâce toute illusoire des sondages, avec « le pouvoir », considèrent que l’actuelle participation de Podemos à une résistible coalition gouvernementale « de gauche » les acculant chaque jour à un reniement de plus (tout récemment, à propos du Sahara occidental) voient là l’exemple à suivre [6] ? Mélenchon à la tête d’un « grand ministère » dans une grande coalition nationale et patriotique allant de Bayrou à Clémentine Autain, pour prix de son ralliement au « mieux offrant » des marchands de sable ? La belle, la sublime idée décoloniale que voilà !

A suivre cette variété-là de décoloniaux dans tous les méandres, toutes les circonvolutions de leurs parcours accidentés, on attrape le tournis. Il n’y a pas si longtemps que cela, il fallait voir avec quelle superbe ils nous remettaient à notre place de supposés progressistes blancs en proie à leurs tourments de conscience et leurs dérisoires velléités de nous mettre au service de la bonne cause indigène ! Comme ils excellaient dans l’art du shaming, sans rémission, molaire, impérieux – tout particulièrement adressé à ces pauvres cons de blêmes tout affairés depuis tant de temps à déchirer leur carte de Blanc ! Et puis voici que tout à coup, volte-face, ce sont les mêmes qui sortent de l’ombre aujourd’hui, toujours aussi sûrs d’eux-mêmes et péremptoires, pour nous administrer la leçon du jour : qui ne votera pas dès demain pour Mélenchon sera le dernier des derniers et n’aura rien compris à rien ! Mais, dites-nous un peu, camarades décoloniaux, c’est quoi, Mélenchon, si ce n’est la caricature même du Blanc autoglorifiant et narcissique et qui fait tourner le monde entier autour de son appétit de pouvoir dans sa forme la plus repoussante ? Se peut-il que vous n’ayez jamais ouvert un livre d’histoire pour ignorer que le métier de ces gens-là, dans son obstination la plus constante, c’est de trahir l’espérance populaire ? Et que la voie de l’émancipation, s’il en est une aujourd’hui, passe nécessairement par la défection massive, collective et décidée d’avec les appareils de la « démocratie représentative » toujours plus assimilable à un village Potemkine ?
La première chose dont il nous faut nous émanciper, c’est d’un temps de la vie politique qui n’est pas le nôtre – celui de la vie de l’Etat, scandée par les consultations électorales, les crises de gouvernement et autres péripéties de la politique politicienne. Il nous faut nous établir dans notre propre temporalité politique, qui est celle des luttes, des résistances et des mouvements collectifs tournés vers l’émancipation. Une temporalité radicalement hétérogène à celle qui vise à appareiller la vie des gens aux conditions de la domination (du gouvernement de la vie mutilée). Nous aspirons tous/toutes à changer d ’époque, condition pour que nous puissions entrer dans un autre devenir – eh bien, le jour où ce basculement se dessinera, cela pourrait bien être celui où une grève générale de l’élection l’aura emporté et où les gouvernants eux-mêmes et les élites, et les journaux devront se plier à l’évidence que la bulle a crevé, que la machine est définitivement enrayée. Ce jour-là, nous pourrons dire que nous sommes entrés dans une nouvelle époque et qu’une relance du devenir est possible – un nouveau lancer de dés. Ce jour-là, les batteurs d’estrade à la Mélenchon auront été remis à leur place, leur caquet rabattu et les décoloniaux, revenus de leur cuite électoral(ist)e, décoloniseront à plein temps, conformément à leur vocation, plutôt que rêver déraisonnablement de Fronts populaires de papier qui seraient pour eux, enfin, l’occasion de passer du côté du pouvoir.

Addendum

Vidéo : Jean-Luc Mélenchon considère la venue de Comoriens sur l’île de Mayotte comme relevant de l’immigration clandestine - il entérine donc le référendum condamné par l’ONU. Il opère par ailleurs un lien (dans le pur style de l’extrême droite) entre immigration (supposée clandestine en l’espèce) et délinquance. En quoi devrions-nous entretenir le moindre espoir envers ce triste sire ? La question me désespère quand il m’advient de la poser à partir d’une position supposément "décoloniale", plus que confuse me semble-t-il, à tous égards au regard de l’article auquel cette vidéo tente de répondre.
Alain Naze

Notes

[1Nous ne faisons pas du refus de participer aux élections en tous genres et en toutes circonstances une question de principe – contrairement à Badiou, par exemple. Prendre part le cas échéant à des élections de proximité (municipales, dans un village ou une bourgade) dans l’espoir de voir élu ou réélu un maire s’engageant sur des propositions de terrain de bon aloi plutôt qu’un tenant de l’agro-business et de l’élevage des poules en batterie ne nous apparaît aucunement comme une action blâmable. Mais cette grande messe noire de la démocratie représentative qu’est la Présidentielle – ça, jamais !

[2Si vous voulez vraiment savoir de quoi serait faite la politique de Mélenchon au « pouvoir », écoutez attentivement les apartés de ce petit Corbière qui se rêve toutes les nuits en ministre de l’Intérieur plutôt que les tirades d’estrades de son chef. C’est lui qui, quand Méluche se lâche un peu sur les violences policières, tempère et rassure (les flics et les gens de l’Etat), c’est lui qui, quand le même s’en prend aux journalistes, assure le service après-vente tout en douceur – l’arrondisseur d’angles en chef et dont le rôle est d’inciter les élites et les gens responsables à « faire la part des choses » dans la rhétorique « populiste » du leader de la France insoumise.

[3Se pourrait-il que ces intrépides pensent que leur engagement en faveur du Rebelle tricolore soit une action si subversive et périlleuse qu’elle mérite qu’on ne s’y engage pas en son nom propre ? Si tel était le cas, qu’ils-elles se rassurent : elle est tout au contraire ce qui, par excellence, les fait entrer dans la catégorie des gens respectables.

[4On pourra consulter avec profit l’intervention de Mélenchon à l’Assemblée nationale, où il défend le référendum illégal organisé à Mayotte pour son rattachement à la France, intervention lors de laquelle il ajoute un éloge des « chatouilleuses », qu’il qualifie positivement de « commandos féminins ». Référence Internet (entre 9’ et 9’55) : https://www.youtube.com/watch?v=PHaF5Um1oU8.
Quant au mouvement des « chatouilleuses », apparu comme tel à Mayotte en 1966, au moment du transfert du chef-lieu de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore), loin de constituer un mouvement plébéien, il agissait aux côtés du Congrès des notables – ses revendications visaient à une plus grande représentation de Mayotte au sein de l’Assemblée territoriale, ainsi qu’à la départementalisation de Mayotte. Leur manière d’agir est euphémisée à travers le terme de « chatouilles », car ce sont de véritables violences qu’elles exerçaient à l’encontre de ceux (mais aussi de celles) qui ne partageaient pas leurs positions : « Leur violence, qui ne s’était jusqu’alors [avant 1966] exercée qu’à l’encontre d’hommes, commence à concerner tout individu acquis aux idées unionistes ou indépendantistes, plus couramment regroupés sous l’étiquette de serrer-la-main, femmes comprises. Une note des renseignements généraux rend compte des représailles menées par des femmes au domicile d’une serrer-la-main :
Le mercredi 11 octobre écoulé [1966], vers 17 heures, la nommée X, épouse de…, surveillant des TP [travaux publics], domicilié à M’tsapere, s’est rendu chez la nommée Y pour lui reprocher de ne jamais participer aux réunions organisées par le Mouvement des femmes de Mayotte. L’interpellée lui a fait savoir que ces réunions ne l’intéressaient pas et qu’elle considérait Saïd Mohamed Cheikh uniquement comme le chef du gouvernement. À la suite de cette déclaration, la nommée X a réuni plusieurs femmes de la localité et ensemble elles se rendirent chez Y, pénétrèrent dans son habitation et jetèrent dehors du mobilier et des objets divers. Puis, s’adressant aux nombreuses personnes du village qui s’étaient rassemblées, la nommée X a déclaré : “Au nom des Mayottais et de la Présidente…, apprenez que Y et sa famille ne doivent plus à compter de ce jour avoir aucun rapport avec la population de Mayotte qui doit les ignorer » (Mamaye Idriss, « Le mouvement des chatouilleuses : genre et violence dans l’action politique à Mayotte (1966-1976) », in Le mouvement social, 2016/2) .Voilà une technique qui s’apparente fort aux décasages actuels, et que Mélenchon, féru d’histoire, ne peut ignorer, mais qu’il valide pourtant…

[5« C’est le drapeau de la liberté que vous brûlez », avait-il osé proclamer, à l’adresse des Algériens – en cela, on ne peut nier qu’il ose tout…

[6Mélenchon n’a jamais été si près du pouvoir ! s’enthousiasment nos décoloniaux se voyant déjà hanter les allées d’un gouvernement d’Union populaire à la française... Disons-le carrément : ceux que le pouvoir commence à faire rêver ne nous font pas rêver.