Eh bien, dansez, maintenant !

, par Audrey Seagull-Porn


« Les loups encoquillés sont plus cruels que les loups errants »
Gaston Bachelard, La poétique de l’espace (1957)

1- En démocratie, le peuple a toujours raison, notamment quand il vote n’importe comment, qu’il erre entre isoloirs et urnes, comme dirait l’autre. Vous ne pouvez pas à la fois vous déclarer inconditionnellement démocrates et décrier le suffrage populaire quand il ne vous convient pas. C’est le problème de cette belle machine – la démocratie : on y repère facilement une pièce défectueuse – mais on ne peut pas la rappeler en usine.

2- Mélenchon, plus que jamais, se sent frais et dispos pour diriger la France. Les fascistes, dont l’humour est délicieux, le nommeront Blockälteste (chef de baraquement) dans le camp où ils l’expédieront, au fin fond de la Creuse (de la Lozère ?) où il aura tout le loisir d’exercer son talent de gouvernant, tout en s’activant au reboisement. Retour au réel...

3- Israël, comme test de civilisation pour chacun.e d’entre nous : selon que vous vous accommodez plus ou moins du tort perpétuel produit par cette puissance, vous êtes moins ou plus civilisé. La civilisation est ici une condition subjective et elle est indissociable de l’affectabilité – la capacité d’être affecté.e non pas tant par le malheur du monde que par l’iniquité (l’intolérable) instituée et légitimée.

4- Il n’est pas vrai que la négritude soit le nom du vice de gens accoutumés à se bourrer la gueule au rhum de cuisine Negrita. Mais il n’empêche : cela deviendra une vérité officielle quand les fascistes seront au pouvoir.

5- Le Monde est très engagé dans le combat sur le front de l’information, destiné à faire obstacle au triomphe du Rassemblement national lors des Législatives. Il s’y prend parfois d’une manière qui déconcerte un peu : en participant activement à la promotion d’un des leaders de ce parti, sur la radio du service public (Louis Aliot, « Questions politiques », 23/06/2024). On peut appeler cela ménager la chèvre et le chou ; on peut aussi l’appeler : ménager l’avenir.

6- Plus de binationaux dans les postes stratégiques (sic) de l’administration – telle est une des mesures phares que les fascistes mettent en avant dans leur programme pour les Législatives. Mais alors, a fortiori, ce qu’ils veulent dire, c’est que Manuel Valls n’aurait jamais dû devenir ni ministre de l’Intérieur, ni Premier ministre ? Alors, si c’est ça, on est sur la même longueur d’onde – Marine en force, et Jordan aussi !

7- Être blanc, cela constituait encore il y a peu, aux yeux de ceux qui le sont, et, en partie, aux yeux des autres, une sorte de privilège aristocratique comparable à l’appartenance à la noblesse sous l’Ancien régime. Ce privilège est bouffé aux mites, il part en morceaux. D’où la fuite dans le ressentiment des premiers touchés – les petits blancs. Les voici donc prêts à emboîter le pas au premier joueur de flûte venu. Mais avant la noyade collective, ils répandront sur leur passage mort et désolation.

8- N. aimait à dire, sur ses vieux jours et au terme de trente ans de mariage que le premier des (innombrables) malentendus qui l’opposaient à sa femme provenait de ceci : elle considérait que le supporter méritait amplement salaire (qu’elle s’entendait à générer par des moyens ingénieux, à défaut d’être orthodoxes), tandis que lui se déclarait exténué de l’entretenir à pratiquer ce grand art – paraître constamment dé-bor-dée...

9- Les portes de la mort sont ouvertes 24 heure sur 24, comme le Seven/Eleven du coin de la rue. On gagnera à rôder autour d’elles, à s’en approcher régulièrement, puis s’en éloigner puis y revenir à nouveau – à se faire à l’idée que les franchir ne coûtera qu’un pas de plus.

10- Ceux et celles qui, sur tout le pourtour de la planète, manifestent activement leur solidarité avec les Palestiniens forment un peuple, dispersé, bigarré, fraternel, disparate – mais un peuple dans l’acception la plus positive, irremplaçable de ce terme. Ce peuple est indestructible, il aura le souffle plus long que l’oppression la plus têtue.

11- C’est la coalition compacte des médias et des partis de pouvoir qui a ouvert une voie royale aux fascistes, en France, à leur arrivée aux affaires, dans un fauteuil. C’est ce bloc hégémonique abject, dans son entière composition, qui devra rendre des comptes lorsque viendra l’heure.

12- Ils sont résolus à s’en aller voter au second tour et en soupirant pour le clone « républicain » du candidat mariniste – alors qu’ils devraient être en train de s’activer à tisser un réseau de comités antifascistes, partout, à la base. Ils s’interrogent gravement sur la question de savoir si Autain ferait meilleure figure que Mélenchon, à Matignon, alors qu’ils devraient être en train de songer aux filières destinées à permettre à ceux qui préféreront Liège ou Namur à la prison de s’esbigner en toute sécurité et de trouver un havre sûr – en attendant des jours meilleurs.

13- Ce qui va se passer : selon toute probabilité, le RN obtiendra aux Législatives une forte majorité relative. S’il obtient (ce qui ne saurait être entièrement exclu) une majorité absolu, Macron échappera difficilement à l’obligation de nommer un.e premier ministre directement issu des rangs des fascistes qui, galvanisés par ce triomphe, s’attelleront à la tâche bille en tête. Si le RN n’obtient qu’une majorité relative, il n’en réclamera pas moins à cor et à cri le poste de premier ministre et Macron, plutôt qu’obtempérer, tentera une diversion, consistant en la formation d’un gouvernement, plutôt que de coalition, de salut national, voire de Salut public, rassemblant des « personnalités » de tous bords – à l’exclusion du RN et de LFI, de, disons, Estrosi à Cazeneuve, voire Roussel – tout est devenu possible, avec ces cocos-là... On imagine aisément l’avenir d’un tel attelage, exposé aux assauts incessants des fascistes et de la supposée gauche radicale frustrée d’avoir été mise hors-jeu, et, rapidement, risée de l’opinion publique. Les conditions les plus favorables se trouveront alors remplies pour une accession en majesté de Marine à la Présidence de la République en mai 2027. Cette dystopie porte un nom : impasse définitive de la politique parlementaire, à l’âge où la démocratie parlementaire est un astre mort et re-mort.
Si vous avez un meilleur scénario, écrivez-moi.

14- On aimerait pouvoir dire que plus un peuple s’étatise, plus il devient con, sans se faire traiter d’antisémite pour autant. On aimerait pouvoir être un peu anti-hégélien sans se faire traiter d’antisémite. On aimerait pouvoir dire que les Juifs sont devenus un peu méconnaissables depuis que leurs cerveaux ont été phagocytés par le plus rogue des Etats...

15- Ne pas ménager ses efforts pour voir les choses du point de vue de l’escargot. Nous soupirons : « Ce mois de juin a été vraiment pourri... » ; mais l’escargot, lui, dit à son ami, rayonnant : « Nous avons vraiment eu un mois de juin exceptionnel... ». Se dire que, de son point de vue, c’est inattaquable. Se méfier cependant de la tentation d’en faire un paradigme politique.

16- Il a un prénom américain trouvé à la télé et un nom italien qui fleure bon Hayange et Knutange. Il est le chantre de la « préférence nationale » à la française. Imbécile se dit en américain imbecile, et, en italien, imbecille.

17- Revoir Le Golem aujourd’hui : Le rabbin Loew, un rebbe magicien et astrologue, a vu dans les astres qu’un danger terrible menace les Juifs de sa ville (son ghetto). Et en effet, le roi à l’autorité de laquelle est soumise cette communauté vient de signer un décret déclarant l’expulsion des Juifs. Mobilisant des connaissances secrètes et immémoriales, le rebbe Loew fabrique un puissant automate qu’il destine à sauver son peuple. Le rebbe Loew, c’est Theodor Herzl, bien sûr, et l’automate, le Golem, c’est l’Etat d’Israël.
L’automate en effet, terrorise le roi et son entourage, mais, de fil en aiguille, il s’autonomise et fait des siennes – jusqu’à provoquer un incendie dans le ghetto. A la fin, ce sont des enfants qui, in extremis, le débranchent, en toute innocence, et le rendent inoffensif. La paix revient, les Juifs célèbrent la gloire de Jehovah et du rebbe magique qui s’est activé en vue de leur salut.
Nous n’en sommes pas encore là. Pour le moment, nous sommes encore bloqués sur l’incendie du ghetto.
(Le Golem, film de Paul Wegener et Carl Boese, 1920).

Audrey Seagull-Porn