Gauches partisanes : somnambulisme politique et électoral. Brèves remarques sur la situation présente
Les dirigeants du NFP font de nouveau l’affligeante démonstration qu’ils sont incapables de penser ce qui nous arrive. Il est urgent de prendre le temps de la réflexion et du bilan, pour élaborer de façon collective, unitaire, inclusive et démocratique des solutions, et nous mobiliser au plus vite pour commencer à lutter contre l’extrême droite et l’extrême-droitisation des partis de gouvernement.
« Souvent la vérité est un cordial amer et fort, aussi beaucoup préfèrent de plus mols réconforts. »
Anonyme du XVIIIème siècle
Il y a peu Emmanuel Macron était encore gratifié, par la foultitude de ses partisans et une certaine presse, de multiples qualificatifs louangeurs. Nombreux étaient celles et ceux qui le jugeaient audacieux, réformateur voire même visionnaire. Il était le « Mozart de la finance », « le maître des horloges » et le glorieux « Jupiter » qui réussissait là où ses prédécesseurs avaient échoué. A preuve, notamment, les nouvelles lois sur les retraites, sur l’asile et l’immigration sans oublier, soutenaient les mêmes, ses admirables réussites en matière de « réarmement industriel », de croissance économique et de lutte contre le chômage à l’horizon de laquelle devaient se profiler les jours heureux du « plein emploi » et de la réduction des déficits publics. La dissolution de l’Assemblée nationale, décidée dans les conditions que l’on sait, et ses conséquences l’ont bruyamment jeté hors de l’Olympe où beaucoup l’avaient placé pour le servir et satisfaire leurs ambitions. En quelques jours, il est devenu Jupiter le Petit [1] et le mauvais génie, aveuglé par l’inflation incontrôlée de son ego et par les « cloportes » qui lui ont soufflé cette décision insensée, dixit Bruno Le Maire, fort marri à la perspective de devoir, sans doute, quitter son fief de Bercy. En flattant le locataire de l’Elysée, ses conseillers auraient réussi à le convaincre qu’il allait, grâce à ce geste qualifié, excusez du peu, de gaullien, écrire une glorieuse page d’Histoire. Et la grenouille s’enfla si bien, qu’à la fin elle se rangea à l’avis de ses flagorneurs professionnels.
Le « macronisme », cette construction singulière, fort peu originale en vérité, faite d’opportunisme sans bornes au service d’un néo-libéralisme toujours plus destructeur des conquis sociaux, toujours plus autoritaire pour parvenir à ses fins et, ce faisant, toujours plus attentatoire aux droits et libertés démocratiques, a subi un revers majeur. N’oublions pas l’obscène démagogie xénophobe et islamophobe, catastrophique pour les premier-e-s concernées, faite loi contre « le séparatisme » (24 août 2021) et loi « immigration, intégration, asile » (26 janvier 2024), mal nommées lois « Darmanin. » En effet, ce très liberticide ministre de l’Intérieur, le plus dangereux, sans doute, depuis la fin de la guerre d’Algérie, qui a combattu avec constance tous les mouvements sociaux et de contestation, et dissous un nombre record d’associations, n’a fait qu’appliquer les orientations décidées à l’Elysée [2].
C’est aussi à ce Cavaignac contemporain que l’on doit la répression particulièrement brutale des révoltes des quartiers populaires de l’été 2023, suite au meurtre de Nahel Merzouk par un policier, et des accusations abracadabrantesques. Entre autres celle « d’éco-terrorisme » prononcée à l’encontre des Soulèvements de la Terre pour justifier la procédure engagée contre ce mouvement. Relativement au prétendu « théoricien » du « macronisme », qui a commis un livre intitulé Révolution (2016) pour faire croire qu’il était l’incarnation audacieuse de la disruption et de la modernisation triomphantes, il est désormais délaissé par beaucoup de ses anciens courtisans. Hier, ils l’encensaient et se pressaient autour de lui, aujourd’hui, ils s’en éloignent ou le tiennent à distance pour éviter d’être engloutis à leur tour sous les ruines provoquées par l’initiative de celui qui fut leur maître. Et pour légitimer ces reniements, ils forgent dans la précipitation d’importantes divergences alors que tous appartiennent depuis longtemps, parfois depuis toujours, au même parti de l’Ordre. Ils continuent d’ailleurs de soutenir ce dernier avec acharnement en réhabilitant, comme les Républicains et l’extrême-droite, un très improbable « péril rouge », « vert » et « wokiste », qualifié « d’islamo-gauchisme ». Baroque fantôme qu’ils ont inventé pour effrayer financiers, industriels, bourgeois-es, petits-bourgeois, épargnants et déclassé-e-s divers, et obtenir ainsi leurs suffrages. Quant aux cris d’orfraie, poussés au nom de la défense prétendue des « valeurs républicaines » par divers ministres ou ex-ministres, élus et responsables de la minorité présidentielle, ils sont ceux d’hommes et de femmes qui observent avec angoisse le tombeau ouvert dans lequel leur carrière et leurs ambitions politiques pourraient être précipitées.
Une telle situation aurait fait les délices du sage et sagace Machiavel qui, à la différence des Diafoirus de l’Elysée, s’y connait en précieux conseils. Il sait cette vérité ancienne mais visiblement ignorée de Jupiter-le-Petit et de ses courtisans : lorsque le « peuple maigre », depuis longtemps maltraité, insulté et méprisé par le prince, l’abandonne, les grands ne tardent pas à faire défection pour échapper à l’opprobre voire à la haine de ceux d’en bas et défendre ainsi leur pouvoir et leurs intérêts. Ajoutons à ce fameux dicton : « C’est au pied du mur que l’on voit le maçon », cet autre qui est plus adéquat à la situation présente : « C’est dans les décombres que l’on découvre parfois le cadavre politique de celui qui se prenait pour un génial maçon. » Nous y sommes. Le fier bâtisseur qui, avec l’aide de son jeune et ambitieux premier ministre, devait conduire une France apaisée, unie et débarrassée du spectre de l’extrême-droite vers les riches eaux de la modernité économique, technologique et républicaine, n’est presque plus. Désormais privé de son ancienne majorité relative et de l’essentiel de son autorité, confronté à une tripartition sans précédent du champ politique comme de l’Assemblée nationale, Jupiter le Petit ne se maintient que grâce au corset institutionnel de la Cinquième République.
Quant aux gauches parlementaires, la décision du président leur a permis de faire oublier leur nième défaite, subie à l’occasion des élections européennes, dans les vapeurs joyeuses et prometteuses de l’unité enfin retrouvée. De là ce Nouveau front populaire constitué pour combattre au mieux le parti présidentiel et les progrès toujours sinistrement spectaculaires du Rassemblement national. Cela confirme qu’aux « époques de crise », les contemporains, qui « semblent occuper (…) à créer quelque chose (…) de nouveau, évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre et leurs costumes pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté ». « Farce[s] » [3], écrivait Karl Marx de ces répétitions auxquelles il a consacré des pages restées célèbres, mais farces on ne peut plus sérieuses et parfois tragiques, n’en déplaise à l’auteur du Capital. Les exemples qu’il mobilise en témoignent, de même celui qui nous occupe. En s’inspirant du Front populaire, passablement mythologisé [4] et singulièrement amputé, pour ne pas inquiéter citoyen-ne-s et adversaires politiques, de la puissante grève générale et des innombrables occupations d’usines qui ont joué un rôle essentiel pour arracher les conquêtes sociales que l’on sait, les uns et les autres cherchaient à puiser dans ces événements une énergie nouvelle susceptible de les aider à combattre avec succès leur ennemis du moment : Jordan Bardella et Marine Le Pen. Nul doute, aussi, en se drapant dans les mémorables succès de mai et de juin 1936, ils entendaient masquer leurs anciennes faiblesses passées et présentes, et conjurer les menaces électorales et politiques qui s’accumulaient. Mieux vaut tard que jamais, assurément.
Ignoraient-ils, ces responsables, qui ont fait preuve d’une irresponsabilité coupable, qu’en se présentant à la votation européenne guidés par des considérations boutiquières et comptables, et par la volonté de gérer solitairement leur maigre capital politique, médiatique et personnel, ils courraient au-devant d’une défaite annoncée et, plus grave encore, qu’ils contribuaient à paver la voie de ceux qu’ils combattaient ? Stupéfiant aveuglement redoublé alors par la surenchère des polémiques employées par les uns et les autres pour se distinguer à tout prix en portant à l’encontre de leurs alliés d’hier, qui sont ceux d’aujourd’hui, de terribles accusations. De là, les outrances rhétoriques de beaucoup et les propos indignes de quelques-uns qui ont apporté leur soutien démagogique et obscène au scandaleux procès en antisémitisme intenté par l’extrême-droite et les différentes composantes du parti de l’Ordre à l’encontre de la France insoumise. Enfin, plusieurs d’entre eux ont paré leur sectarisme mortifère, leur irrépressible pulsion hégémonique et leur prétention à incarner seul un improbable « bloc populaire » ou progressiste des atours avantageux de l’unité et de la fidélité à leurs engagements antérieurs. Pourtant, il n’était pas nécessaire d’être grand clerc pour savoir que ces divergences, exacerbées à dessein pour les besoins de leur mauvaise cause, allaient décourager le « peuple de gauche » et nécessairement profiter au Rassemblement national. Peu importait alors à ces somnambules politiques ; ils participaient aux élections européennes non pour tenter de gagner ensemble mais pour se compter, maintenir leur position au sein des gauches et/ou rééquilibrer les rapports de force en leur faveur afin de préparer les municipales et, bien sûr, les présidentielles pour lesquelles certain-e-s ont déjà organisé écurie, dîners discrets et réseaux divers pour mieux se pousser du col.
Triomphe réitéré, dérisoire et dangereux de la lutte des places, des appareils et des ego, enivrés par l’exercice du pouvoir et plus encore par celui que les uns et les autres convoitent ; l’ensemble a précipité leur échec collectif et parfois le déclin de certains. Telles sont les origines de la frayeur éprouvée par ces gauches. C’est elle qui les a poussées, pour sauver leur formation respective, leurs élu-e-s et leur dirigeant-e-s, à créer un Nouveau front populaire d’abord motivé par la volonté d’échapper à un naufrage plus terrible encore pour leur existence et leur avenir politiques. Après le brouhaha des anathèmes stériles, qui a favorisé divisions, incompréhension et désespérance, la ferveur de l’unité et de l’espoir recouvrés ? Partiellement car sitôt l’accord conclu, alors que la victoire semblait très improbable et que le spectre du Rassemblement national obscurcissait toujours l’horizon, les ambitions personnelles ont repris le dessus. De là, ces stupéfiantes et indécentes disputes pour savoir qui serait le prochain Premier ministre de la France. Irresponsable somnambulisme politique encore et toujours de celles et ceux qui, tout en affirmant être les hérauts des classes populaires, défendent plus souvent qu’à leur tour leur propre position pour s’étonner ensuite du discrédit qui collectivement les frappe et des succès de leur ennemi.
Avant la mémorable soirée du 7 juillet 2024, et maintenant plus encore, la machine à produire des analyses convenues, supposées rendre compte de la situation et de celle des gauches représentées à l’Assemblée nationale, tourne à plein régime. Elle fournit à leurs responsables et aux divers ventriloques qui les suivent des éléments de langage propres à minorer d’une part la progression de l’extrême-droite, la résistance significative des différentes fractions du parti de l’Ordre et la gravité de la conjoncture, et à majorer d’autre part leur propre réussite qualifiée de victoire. Inespérée victoire à la Pyrrhus en vérité car les heures s’égrènent toujours rapidement et le crépuscule du soir continue de s’assombrir. La surprise provoquée par la dissolution secrètement préparée, la brièveté de la campagne électorale et le rôle des médias, notamment, ne peuvent expliquer les raisons pour lesquelles les citoyen-ne-s français ont, en 2017, livré le pays au jeune banquier que l’on sait, récidivé cinq ans après en privant une fois encore « l’Insoumis en chef » d’un second tour. Celui-là même qu’il n’est jamais parvenu à atteindre même s’il a réussi à sublimer la succession de ses honorables défaites en victoires prometteuses pour continuer à s’imposer comme le candidat « naturel » de la gauche. Puissance de la rhétorique et de la dénégation qu’elle soutient, et du « machin » gazeux que Jean-Luc Mélenchon dirige d’une main de fer en le purgeant régulièrement de celles et ceux qui contestent sa ligne. Autant de facteurs essentiels qui aident à comprendre la réitération des échecs subis par ce dirigeant qui persévère dans l’application de ses orientations sectaires et dans la mise en œuvre de ses méthodes autoritaires. Il est vraiment singulier d’avoir à rappeler cette loi pourtant simple, confirmée par les infortunes de celui qui préside aux destinées de la France insoumise : la répétition des mêmes erreurs conduit invariablement aux mêmes revers et ces revers peuvent se muer en catastrophe lorsque le vainqueur est un ennemi politique résolu.
Enfin, n’en déplaisent aux entêté-e-s du Nouveau front populaire, enivrés par le nombre de député-e-s obtenu et par la perspective irréaliste de former un gouvernement stable et capable d’appliquer le programme pour lequel ils ont été élus, les faits et les chiffres sont têtus. Deux ans après la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, au second tour des législatives, le 7 juillet 2024, les Français-e-s, selon l’expression consacrée, ont accordé la majorité de leur suffrage au Rassemblement national et à ses alliés – 10 126 823 voix – aux Républicains extrême-droitisés et adeptes, pour beaucoup d’entre eux, de la pseudo-théorie du « Grand remplacement » – 1 689 753 voix – et à la minorité présidentielle – 6 974 499 voix – ; tous ayant repris à leur compte nombre de thèmes, d’éléments de langage et de propositions depuis longtemps défendues par Marine Le Pen. En attestent les lois précitées et, plus sinistrement encore, le projet, radical et très inquiétant, de remise en cause du droit du sol à Mayotte, salué par le RN et les Républicains favorables à l’extension de cette réforme à la métropole. Outre la progression continue de l’organisation présidée par Jordan Bardella – entre 2017 et 2024, le nombre de ses député-e-s est passé de 8 à 143 ce qui est sans précédent sous la Cinquième République –, les diverses fractions du parti de l’Ordre, qui sont d’accord sur l’essentiel, ont ainsi obtenu les voix de 8 664 252 Français-e-s. Nonobstant les électeur-e-s qui ont voté pour leurs candidats afin de faire barrage à ceux du RN, l’écrasante majorité d’entre eux se sont donc prononcés pour des formations qui ont défendu et défendent toujours des orientations xénophobes, islamophobes, racistes et gravement attentatoires aux libertés démocratiques. Quant au Nouveau front populaire, il n’obtient que 7 065 667 voix – soit 25, 9% des suffrages exprimés – ce qui le situe en seconde position, très loin derrière le Rassemblement national – 37, 12% des suffrages exprimés, et juste devant la formation présidentielle.
Ces différents éléments ne sont pas des opinions déterminées par un pessimisme de mauvais aloi, ou par une subjectivité qu’affolerait la situation présente, mais des réalités objectivées par les résultats officiels que l’on sait. De là quelques conséquences importantes. Elles permettent de prendre la plus juste mesure de la conjoncture, de l’extrême-droitisation des différentes composantes du parti de l’Ordre, laquelle progresse du même pas que les avancées du Rassemblement national, et d’exhumer les terribles dangers qui subsistent. Bien que réunies, les principales formations des gauches ne représentent, hélas, qu’un quart des citoyens ce qui rend l’ultimatum, adressé au chef de l’Etat pour former un gouvernement, inconsistant. Tableau toujours partiel, pour ne pas dire partial, de la situation. Il est donc impératif de le compléter. En effet, à ces faiblesses politiques, anciennes et toujours actuelles, s’ajoutent celles des organisations syndicales de salarié-e-s, d’étudiant-e-s, et de lycéen-ne-s, et celles d’associations et de collectifs divers, tous divisés et fragiles, et fragiles parce que divisés. L’ensemble dit l’immensité de la route à parcourir pour parvenir à inverser des rapports de force dégradés depuis des années. Aux uns et aux autres, rappelons aussi cette vérité factuelle, qu’ils refusent trop souvent d’admettre au motif qu’on ne saurait démobiliser militant-e-s et citoyen-ne-s ; soit la version contemporaine et bien connue, qui a servi toutes les causes mêmes les pires, de : « il ne faut pas décourager Billancourt » ; Jean-Paul Sartre dixit dans les années cinquante lorsqu’il cheminait avec le Parti communiste. En dépit de mobilisations parfois très importantes, souvent soutenues par l’opinion publique comme on dit, aucun mouvement de contestation, après les manifestations unitaires contre le Contrat première embauche (CPE) du printemps 2006, n’a réussi à faire reculer durablement un gouvernement de droite ou de gauche désireux d’imposer ses réformes néo-libérales. Cela vaut également pour les « Gilets jaunes ». Pas de victoire sociale, nationale et significative depuis dix-huit ans même si des résistances locales ont réussi à faire céder élus municipaux et/ou régionaux, et différents patrons petits ou grands. Un tel bilan doit être impérativement intégré à celui d’aujourd’hui pour avoir une connaissance aussi juste et précise des temps qui sont les nôtres.
En persévérant dans le recours à des analyses et à des arguments superficiels et hâtifs, cent fois répétés et entendus, les dirigeants du Nouveau front populaire font de nouveau l’affligeante démonstration qu’ils sont incapables de penser ces événements, leurs origines lointaines, les singularités de la séquence sociale et politique présente, et les mouvements souterrains, lents d’abord, accélérés ensuite, qui ont permis au Rassemblement national d’accumuler patiemment victoires culturelles, politiques, médiatiques et électorales pour s’imposer aujourd’hui comme la première force partisane du pays. Celle-là même qui, à chaque nouvelle élection, se banalise et se nationalise toujours plus. Pis encore, fort de ses succès locaux puis hexagonaux, aux législatives de 2022 puis de 2024, entre autres, elle bénéficie d’une notabilisation significative, essentielle au plan politique et symbolique, d’une partie de son personnel qui peut désormais se targuer de vivre et de parler en expert grâce aux responsabilités importantes qu’il a exercé à l’Assemblée et qu’il exercera, sans doute, dans les prochaines semaines. Situation exceptionnelle donc que les directions des gauches banalisent en ravalant les différentes et spectaculaires involutions précitées au rang d’accidents électoraux favorisés par l’agrégation malheureuse d’éléments circonstanciels auxquels la « victoire » du Nouveau front populaire aurait enfin mis un terme. Somnambulisme politique toujours aveugle au temps long et aux bouleversements structurels du champ partisan qui sont intervenus au cours de ces dernières années. Bouleversements et processus de décomposition et de recomposition partielle qui ont vu s’effondrer deux partis de gouvernement : le Parti socialiste et la défunte UMP remplacée par des Républicains moribonds cependant que le parti de la minorité présidentielle demeure un agrégat composite et de circonstance susceptible de voler en éclat lorsque Jupiter le Petit se rapprochera du terme de son second mandat. Les communistes, quant à eux, poursuivent leur descente aux enfers et EELV demeurent fragiles et faibles ; leurs piètres résultats aux dernières élections européennes en témoignent.
Plusieurs autres questions majeures demeurent pendantes et les réponses apportées seront déterminantes pour la suite des événements : soit le renforcement rapide du Nouveau front populaire, soit la victoire de la candidate du Rassemblement national lors des présidentielles de 2027 ; telle est, aujourd’hui, l’alternative la plus probable. Reste donc à expliquer comment cette organisation a réussi, au fil des ans, à devenir, pour 37% des citoyen-ne-s de ce pays le parti des salarié-e-s, du pouvoir d’achat, d’une fraction significative de la jeunesse, de la défense des services publics et, inversion maligne plus improbable et plus terrible encore, le parti prétendument philosémite que soutiennent désormais de célèbres personnalités juives et Amichai Chikli, ministre israélien chargé des Relations avec la diaspora et de la lutte contre l’antisémitisme. Le 1er juillet 2024, entre les deux tours des législatives, ce membre du Likoud, partisan du nettoyage ethnique de la bande de Gaza et de la colonisation de l’enclave, a déclaré : il « serait bon pour Israël » [5] que Marine Le Pen soit un jour élue présidente de la République. Reste à expliquer, aussi, comment et pourquoi les forces de gauche, les organisations syndicales et les associations antiracistes de défense des droits humains ont été incapables d’endiguer la progression continue du RN ? Répondre à ces interrogations diverses fait partie des urgences de l’heure mais elles placent toutes celles et tous ceux qui entendent poursuivre la résistance, pour tenter de la transformer en une offensive enfin victorieuse, devant une difficulté majeure : il nous faut à la fois prendre le temps de la réflexion et du bilan, pour élaborer de façon collective, unitaire, inclusive et démocratique des solutions, et nous mobiliser au plus vite pour commencer à lutter contre l’extrême-droite et l’extrême-droitisation des partis de gouvernement. Dirigeant-e-s du Nouveau front populaire, vos responsabilités sont à la hauteur des espoirs que vous avez suscités : immenses. Attelez-vous dès maintenant à ces tâches sans quoi, l’Histoire, dont vous vous réclamez, vous jugera et sa sentence sera terrible si vous échouez.
Olivier Le Cour Grandmaison , universitaire, dernier ouvrage paru : Racismes d’Etat, Etats racistes. Une brève histoire, éditions Amsterdam, 2024.