La France qui vomit

, par Alain Brossat


C’est pas pour dire ni pour me vanter, mais ça sent pas la rose le vomi républicain. Le vomi de nos républicains.
Ils lisent ma prose (qui les oblige...?) et voilà qu’aussitôt ils se sentent tout chose et qu’une irrépressible envie de dégueuler les saisit.
Moi, je veux bien, chacun est libre de ses affections et de ses spasmes, ça fait sans doute partie des droits humains, mais de là à saloper les espaces publics et empuantir l’atmosphère à ce point – franchement je trouve que ça frise l’abus.
C’est qu’ils en foutent partout, nos agités de la glotte, nos républicains brossatémiques.

C’est de la gerbe en bande organisée – sur facebook, instagram, twitter, tik-tok, même que les camarades chinois en peuvent plus tellement ça empeste. C’est au point que les grands échassiers qui migrent en cette saison du nord vers le sud font désormais un détour pour éviter toute cette schlinguerie hexagonale...
Qu’il leur suffise, à ces délicats, de si peu (un tout petit article de rien du tout...) pour avoir l’estomac tout retourné pire que s’ils franchissaient les colonnes d’Hercule sur un frêle esquif, on pourrait à la rigueur l’admettre – mais quel besoin de venir nous rendre tout leur quatre-heures là, directement sur nos bottes bien cirées, est-ce bien nécessaire, bien raisonnable ?

C’est qu’à la longue, vu la quantité de matière dégorgée, on en viendrait presque à se dire que c’est là leur mode d’expression le plus expédient, le plus usuel et, comment dire... le plus naturel. Ils lisent (ou, plus couramment, survolent) un papier qui ne leur convient pas du tout – ils vomissent. Ils entendent un argument qui les irrite – ils vomissent. Ils repèrent un type qui ne pense pas à l’unisson du troupeau – ils vomissent. A la longue, je dis, ça tend à faire masse, un peuple de vomisseurs, un peuple qui, à défaut de concevoir qu’il existe encore des gens qui ne pensent pas au coup de sifflet, dégueule à l’unisson.
Le seul moment où il leur monte à la tête comme la velléité de fabriquer une phrase, c’est celui où ils seraient tentés de se faire patibulaires généalogistes : ah, mais c’est que celui-là, on le connaît, c’est le père de l’autre, celui qu’on voit à la télé – ce qui explique tout évidemment, à moins que ce ne soit l’inverse.


Dégueuler en meute et en corps franc, ne va pas sans présenter quelques sérieux avantages : tandis qu’on est occupé à vomir et à faire de son vomissement une performance sur les réseaux sociaux, on n’a pas à se soucier d’aligner un sujet, un verbe, un complément, d’esquisser une argumentation. Le vomissement en tient lieu. On vomit, et tout est dit, cela vaut le plus chiadé des articles. C’est de l’intensif pur, ça fédère, ça soude, la communauté émétique campe dans l’ineffable. D’ailleurs, à quoi bon discuter ? Bien sûr, suggère le vomisseur de service, ce serait un jeu d’enfant que de réfuter toutes ces horreurs, ce monceau d’inepties qui révulse tant dans la forme que dans le fond (le grand style de Bouvard et Pécuchet), mais à quoi bon s’y abaisser – alors, on vomit et là tout s’éclaire, tout est dit, et l’infâme est terrassé.

Il y en eut bien pourtant quelques-uns qui, jadis et naguère, s’essayèrent à mettre des mots sur leurs vomissures. Céline n’était pas mal, dans le genre. Ou bien, en version hard discount, vous auriez Houellebecq, Darrieussecq, cette engeance-là, mais tout vomi que c’est, ça reste du vomi littéraire et donc toujours un peu de boulot, quand même... Tandis que là, tout s’exécute dans l’instantané : de ces saloperies, il y aurait tant à dire, histoire d’en renvoyer l’auteur à sa longue honte... mais non, nous n’allons pas déchoir à ce point – alors vomissons en chœur et la messe sera dite.

Une époque qui n’éprouve plus le besoin de faire des phrases et de les enchaîner, dans un débat public, c’est quand même toujours un peu inquiétant. Le vomissement, c’est le degré zéro de l’anathème, de l’invective, de la mise au ban. On vomit en commun, on compassionne en tas – c’est le nouveau catéchisme républicain.
On ne vous demande pas grand-chose, et surtout pas d’être un peu, beaucoup, à la folie d’accord avec ce qu’on raconte – franchement, on préférerait pas, même – juste de tenter d’articuler une phrase, et puis éventuellement une autre derrière – un argument, quoi. Même si c’est pour dire qu’on est à brûler – qu’on sache au moins à quoi s’en tenir. Ceci sans compter qu’à force d’en foutre partout, vous allez finir par vous rendre sérieusement malades, juste comme il disait, le bon Frédéric, à croire sottement que le rapport entre la pensée et le cerveau, c’est le même qu’entre la bile et le foie.

Personnellement, si j’étais un républicain de rigoureuse obédience ou un chrétien s’efforçant de se tenir à la hauteur de sa foi, mes pensées et mes prières iraient à l’assassin, enfant perdu de l’exil (un gamin de 18 ans si je ne m’abuse), mort lui aussi, vous l’avez sans doute oublié, sous les balles des flics – non moins qu’à la victime, donc. Mais la religion de la vengeance et les lynchages posthumes (qui vont en ce moment jusqu’au retrait en série du statut de réfugié à nombre de Tchétchènes vivant en France), c’est tellement plus expédient et tonique !
Et puis, ça sent si bon le sang frais, la vengeance, la vindicte, les appels à l’épuration, à la purification idéologique de l’université infectée par le virus islamo-gauchiste !

Vomissez, vomissez, camarades républicains, il en restera toujours quelque chose !

Alain Brossat