Paroxysme des blondes

, par Dragos Baszmati


« Dans ce cas, je vais vous donner un conseil. Il y a un bateau qui part dans deux jours, le Foucault, qui rentre en France ? Partez avec lui ! »
Georges Simenon, Le coup de lune

1- C’est l’histoire de l’écrivain devenu vieux, oublié de tous, solitaire et malade, et qui faisait le tour (Tour) de France des boîtes à livres dans l’espoir d’y trouver un de ses bouquins, même en lambeaux – espoir constamment déçu, naturellement. Une histoire résolument triste.

2- Depuis qu’ils ont des smartphones, les gens n’accordent plus aucune attention ni valeur aux livres. Ils les passent au vide-ordures, les abandonnent dans la rue, s’en servent pour allumer le feu dans la cheminée. Le smartphone a tué le livre, en toute innocence, comme Hemingway chassant le fauve. Un safari technologique.

3- Il faudrait envisager nos sociétés sous l’angle du mercenariat omniprésent, dans toute sa diversité – tous les mercenaires ne sont pas en battle-dress, loin de là. Beaucoup plus nombreux sont les mercenaires du clavier, déguisés en journalistes, en écrivains, en universitaires, les lobbyistes qui ne pullulent pas que dans les boutiques obscures du Parlement européen, les sportifs professionnels habitués à se vendre au plus offrant, etc. Un certain continuum s’établit, d’ailleurs, dans nos sociétés, entre mercenariat et prostitution. Après tout, il s’agit bien, pour la star du foot, de donner du plaisir aux foules, en faisant commerce de son corps. Un commerce des plus rémunérateurs, comme chacun sait.

4- En Finlande, le très autochtoniste Perussuomalaiset, soit le Parti des vrais Finlandais, campe aux portes du pouvoir. A quoi ressemble un vrai Finlandais ? A un personnage d’un long métrage d’Aki Kaurismäki. A quoi ressemble un faux Finlandais ? A un personnage d’un moyen-métrage d’Alice Diop. Impossible de confondre, en effet...

5- Dans les colonnes de L’Humanité, Etienne Balibar en appelle à une « insurrection démocratique », l’adjectif passe-partout se destinant ici à parer le motif inquiétant de l’insurrection d’une aube de communiante. Si l’insurrection (on préférerait dire le soulèvement) est démocratique, c’est qu’elle ne saurait être ni sauvage, ni barbare, ni violente, ni sanglante. Or, si elle est définie a priori comme n’étant rien de tout ça, c’est assurément qu’elle est supposée se produire aux conditions de l’Etat – ou du moins de ne pas enfreindre celles-ci, pour l’essentiel. Or, une insurrection qui respecte les conditions de l’Etat, c’est un oxymore. Si l’on tient à tout prix à affubler l’insurrection d’un adjectif, alors disons : populaire. Sinon, ce n’est qu’un faux-semblant, un de ces innombrables tigres de papier que fabrique la rhétorique « de gauche » à la Mouffe-Mélenchon – c’est du détournement de mots, comme on parle de détournement de mineur(s). L’insurrection, le soulèvement sont des astres purs – les adjectifs viennent après, par avant, et comme pour les brider. Ils définissent leurs propres conditions et les affubler d’un adjectif destiné à les rendre fréquentables, c’est les renier. Au reste, le choix du mot insurrection est, dans ce contexte, particulièrement malheureux : c’est qu’il se trouve qu’une insurrection, est généralement armée (A. Neuberg, L’insurrection armée, 1931)...

6- Avez-vous une opinion définitivement arrêtée sur la rumba congolaise ?

7- Avec le réchauffement climatique qui s’accélère et la sécheresse persistante qui l’accompagne, les enfants vont progressivement cesser de croire à la pluie, tout comme leurs aïeux ont cessé de croire en Dieu.

8- A quoi pensez-vous, quand vous vous coupez les ongles ?

9- Les titres des journaux demandent désormais à être traduits en français. Lorsque Le Monde titre sur cinq colonnes à la une « Mixité scolaire : « Ndiaye face aux réticences du privé », cela veut dire, en français intelligible : l’enseignement privé, catholique notamment, défend bec et ongles son privilège de sélectionner ses élèves sur critères sociaux et notamment de fermer ses portes à la plèbe, racisée ou pas. Le mot privilège doit être ici entendu dans le sens qu’il avait sous l’Ancien régime. « Mixité » est ici sans rapport avec la suppression de la séparation entre les sexes sur les bancs de l’école, un acquis de l’Ecole laïque et républicaine, quand même, mais a tout à voir avec la discrimination sociale. L’école privée tient à son privilège sélectif comme les possédants s’accrochaient au suffrage censitaire, au XIXème siècle. Pour déchiffrer ce titre du quotidien de référence, il faut donc être équipé non pas d’un dictionnaire mais d’une solide boussole – celle de la lutte des classes, en l’occurrence.

10- Depardieu, avec pas moins de treize femmes qui l’accusent de violences sexuelles (on ne prête qu’aux riches), ce n’est pas Depardieu qu’il devrait s’appeler, mais Depardiable – ou bien, à la rigueur Barbedeparbleu(e).

11- Fascination de (pour) l’Orient : en mode plus ou moins décolonial, aujourd’hui – c’est tellement plus chic...

12- Depuis quand ne racontez-vous plus de blagues antisémites ?

13- Quelle est la différence entre une histoire juive et une blague antisémite ? [1]

14- Question : Et si les ours réimplantés dans les Pyrénées étaient blancs (sans être nécessairement polaires pour autant), plutôt que bruns, est-ce que cela désarmerait un peu l’animosité des éleveurs et des ursophobes [2] locaux ?

15- Le voleur déteste être volé. S’il a l’occasion de punir son voleur ou de s’en venger, il le fait avec davantage de férocité que les gens honnêtes. On tient là un des principes premiers de la vie capitaliste.

16- Préféreriez-vous donner votre nom à une école, une montagne ou au dernier modèle de moissonneuse-batteuse McCormick ?

17- On peut mourir de l’absence d’un concept. Les chats, lorsqu’ils traversent une rue, ne regardent jamais à droite et à gauche avant de s’y risquer. Ils avancent droit devant eux et s’ils entendent un bruit, ils se mettent à l’arrêt – ce qui leur est souvent fatal. C’est qu’ils n’ont pas le concept de la rue ou de la route, sur laquelle circulent, dans les deux sens, des dangers mortels. Mais sans doute ont-ils dans leur boîte à outils toutes sortes de concepts que nous pourrions leur envier et dont nous ne pourrions pas même imaginer la possibilité.

18 - Lorsqu’un personne meurt, c’est en faisant le ménage dans ses placards, en faisant l’inventaire de ses tiroirs que l’on prend enfin la pleine mesure de la vanité (la futilité ?) de toute existence humaine.

19- Comme on demandait à N. pourquoi il semblait si pressé de mourir, il se contentait de répondre : « Je pense avoir fait le tour de la question – il est temps que je passe à autre chose... »

20- Chaque fois que je vois un.e flic ou un.e militaire équipé.e d’états d’âme pointer le bout de son nez, dans un film (et ça arrive tout le temps), je sors le carton rouge et j’apostrophe le réalisateur : « Arrête un peu ton cinéma ! Dans la vraie vie, c’est jamais comme ça ! »

Dragos Baszmati

Notes

[1Une histoire juive est une blague antisémite racontée par un Juif.

[2On pourrait dire aussi « arktophobes » - du greac arktos, ours.