Compte rendu CA Ici&Ailleurs - 10 novembre 2017

, par Cédric


CA Ici&Ailleurs
Le 10 novembre 2017
Chez Diane Morgan

Présents :
-  Sylvie Parquet
-  Diane Morgan
-  Sandrine Amy
-  Jean-Pierre Dacheux
-  Jean-Louis Thévenin
-  Orgest Azizaj
-  Cédric Cagnat

1- Un point est fait sur l’avancement de l’abécédaire : toutes les lettres ont été attribuées et plusieurs articles sont d’ores et déjà rédigés. Ils sont disponibles sur le « SAS » pour d’éventuels commentaires avant publication sur le site.

2- Suite au changement de bureau, la nouvelle adresse du siège sera située chez Orgest.

3- La rédaction du PV de renouvellement du bureau est prévue pour le 15 décembre. Il sera signé par les nouveaux membres du bureau et posté sur le site.

4- Jean-Pierre fait remarquer que nous ne sommes pas parvenus à faire de la philosophie non universitaire, et se demande si nous avons réussi à faire de la « politique non politicienne ».

5- Poster des vidéos sur le site est une bonne idée, mais elles doivent présenter un intérêt. Tous les participants acquiescent.

6- Nous évoquons à nouveau la possibilité d’organiser d’autres rencontres autour de l’animal comme celle de Fertans. Sylvie souhaite qu’une intervention soit consacrée à la question des déséquilibres alimentaires à l’échelle mondiale. Diane suggère que nous entrions en contact avec le « Musée de la chasse et de la nature ».

7- Le projet d’université en Turquie avance. Un contact sur place s’occupe de trouver des logements et négocie avec les instances académiques. Un argumentaire a été rédigé (cf. annexe)

8- Est fait mention d’un projet de soirée à la BNF pour une expo photo autour de l’Albanie.

9- La date du prochain CA sera déterminée avec Alain Brossat après son retour de Taïwan.

Cédric Cagnat
Secrétaire de l’association

Annexe : projet d’université d’été

Orient, orientation, désorientation, réorientation

Dans une brochure de philosophie « populaire » intitulée Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, Kant écrit ceci : « S’orienter signifie, dans le sens propre du mot : d’une région donnée du monde (nous divisons l’horizon en quatre de ces régions), trouver les trois autres, surtout l’Orient. Si donc je vois le soleil au ciel, et que je sache qu’il est midi, je puis trouver le sud, l’ouest, le nord et l’est ».

C’est donc, atteste Kant, à partir de l’Orient que nous nous orientons, une évidence solidement enracinée dans l’étymologie : Orient provient du latin oriens qui lui-même dérive du verbe oriri, l’Orient c’est la direction du sol oriens, là où le soleil se lève, ce qui, plus tard va donner orientalis, oriental, puis orienter, orientation, désorientation et, enfin, orientaliste, orientalisme... Riche descendance...
Mais, s’il apparaît qu’apprendre à s’orienter dans la pensée (dans le monde, dans le présent, dans l’histoire, dans la vie...) est assurément l’un des gestes ou l’une des questions philosophiques de première importance - de quel Orient cette activité conserve-t-elle la mémoire ?
« Penser, vivre, connaître, agir, exister, c’est avoir en permanence à résoudre des problèmes d’orientation », statue Pierre Macherey dans un livre récent intitulé, précisément, S’orienter. Mais les approches classiques que la philosophie européenne et occidentale proposent de cette quête de repères et d’indices destinées à permettre au sujet individuel de se déplacer dans le présent en se donnant une direction, quelle relation entretiennent-elles à cet Orient qui, envers et contre tout, se conserve intact mais oublié dans la chair verbale des mots orienter, orientation ?
Lorsque, dans un passage archiconnu de la troisième partie du Discours de la méthode, Descartes évoque ce voyageur perdu en forêt et qui, plutôt que tournoyer et errer, doit marcher tout droit dans la même direction, ce qui, à la longue et infailliblement, lui permettra d’arriver « quelque part », il a lui-même perdu l’Orient comme fondement de l’orientation. Ce qui lui importe, c’est la ligne droite, pas l’Orient en tant que premier des repères, selon Kant.
Mais il y a plus : dans les plis du discours occidental, l’Orient s’est progressivement solidement établi comme un topos associé à la perte des repères, voire à la perdition, à des formes d’altérité dont le propre est, précisément, de désorienter en tant qu’elles inquiètent, menacent, suscitent la perplexité. Comme le rappelait à la fin du siècle dernier André Gunder Frank dans un livre intitulé, précisément Reorient, plus l’Europe et l’Occident peaufinent leurs récits autocentrés du développement de la civilisation et de l’économie-monde, et plus ces généalogies prospèrent sur l’oubli ou le déni de la place occupée par les incarnations sensibles de l’Orient – l’Asie, en premier lieu. La thèse proposée par Gunder Frank selon laquelle « from a global perspective Asia and not Europe held center stage for most of early modern history » dessine les linéaments de cette nécessaire et vigoureuse réorientation du récit de l’historia mundi, ceci depuis notamment que se discernent les contours d’une économie mondiale – et bien avant, c’est la thèse de l’auteur, que les Européens mettent le pied sur le sol américain.
Se réorienter, dans ce sens même, mais à bien d’autres titres aussi, comme le suggère The Theft of History de Jack Goody, ce serait donc en somme entreprendre de « retrouver l’Orient », dans la même veine idiomatique que lorsqu’on parle, en français, de « perdre le nord ». Ce n’est un secret pour personne que nous vivons dans un temps de désorientation généralisée – historique, politique, morale, existentielle - dans ce présent même où se produit dans le vocabulaire toute une inflation de termes et d’expressions rattachés au motif de l’orientation – orientation scolaire (être orienté plutôt que s’orienter), orientation sexuelle, parcours d’orientation, etc. Tout se passe comme si plus s’accentue et s’affiche ce qui se subsume sous le motif général de la « perte du sens », et plus prospèrent les recettes et ersatz destinés à compenser l’évanouissement des repères destinés à permettre au « promeneur » dans le présent de se tracer un chemin, de se retrouver lorsqu’il s’égare. Dans ce contexte, l’orientation tend à passer de l’actif (s’orienter, c’est agir, souligne Macherey) vers le passif – l’orientation comme mode de gouvernement voire de manipulation des populations.
« Retrouver l’Orient », plutôt que le nord, dans un temps où, entre autres, tout tend à signaler que les rapports de forces économiques et politiques entre l’Occident et l’Asie sont en pleine mutation, où la montée en puissance de la Chine est au centre de toutes les attentions, ceci suppose, pour ceux qui ont appris à penser et parler dans les plis de l’euro-occidentalo-centrisme, une aptitude à bifurquer. Etre disponible, à tout instant, pour la bifurcation, c’est en cela que consiste, pour Montaigne, l’art de voyager. Voyager dans le présent, cela suppose une disposition à se desceller de ses propres récits, à se détourner de ses parcours habituels, à quitter ses routines et inventer d’autres façons de cheminer dans le présent. Une condition de la réorientation est donc bien cette disponibilité pour la désorientation productive.
Il ne suffit pas d’une carte pour s’orienter dans le paysage toujours changeant du présent, de l’histoire, de la vie commune – il faut aussi apprendre à s’égarer pour se retrouver – en levant la tête du côté où le soleil se lève – sol oriens.