Derrière le rideau. Alfred Hitchcock, Saul Bass et la scène de la douche : critique

, par Jacques Demange


En 1960, avec Psycho, Hitchcock crée la surprise totale. Un meurtre effroyable, une star qui quitte l’écran au premier tiers du film, un cinéma voyeur… Derrière le rideau, il y a la volonté de placer le choc au cœur du film. Hitchcock invente le blockbuster, tant du point de vue publicitaire que filmique. Il construit la machine de guerre du cinéma d’aujourd’hui, avec sa façon de travailler les images et le son. Mais cela, il ne le fait pas seul. Derrière le rideau, il y a aussi le génie de Saul Bass, du storyboard au consultant visuel, l’enfant prodige des génériques de film qui s’essaie à la réalisation.

Maintes fois citées et analysées, la célèbre « scène de la douche » de Psychose a-t-elle livré tous ses secrets ? Pour Joachim Daniel Dupuis, docteur en philosophie et enseignant en cinéma en classes préparatoires, la réponse ne peut être que partielle. L’auteur nous prouve en effet que loin de se limiter à un fleuron formel et dramaturgique de l’Histoire du cinéma, cette séquence peut et doit encore se soumettre à de nouvelles expertises. Loin de se résoudre à une argumentation faussement définitive, cette étude ouvre son propos à une série d’hypothèses particulièrement stimulantes. S’appuyant sur la collaboration de Hitchcock et du graphiste Saul Bass, Dupuis théorise ce moment à partir d’une analyse scrupuleuse de ses motifs et lignes dynamiques. Car c’est d’abord la rigueur méthodologique de ce travail qui impressionne. Plans de la séquence, dessins du story-board, et lignes du scénario (tous retranscrits dans le corps du texte) constituent les matériaux d’une réflexion dont la portée conceptuelle s’appuie avant tout sur les techniques cinématographiques, visuelles mais aussi sonores, à l’origine de la singularité de la scène étudiée. Si l’auteur emploie cette dernière comme un moyen de réfléchir certaines qualités du style hitchcockien (le rapport entre surprise et suspense, la question du traitement spatial selon un jeu de compression et de décompression), c’est surtout du côté de Saul Bass que la chose devient vraiment intéressante. En adoptant une approche comparative, Dupuis insiste sur l’importance du rôle joué par l’artiste dans la conception graphique de la scène. Le générique de Vertigo ou certains passages de Phase IV (l’unique film réalisé par Bass), dressent ainsi de saisissants parallèles. Ces développements favorisent une relecture du film dans son entièreté. L’auteur perçoit en effet Psychose comme la matrice esthétique et émotionnelle des futurs blockbusters et comme un véritable point de bascule dans l’histoire du cinéma d’horreur. Si l’on ne peut réfuter totalement ces propos, ceux-ci auraient mérité d’être relativisés. Il faut en effet remarquer que Psychose s’inscrit moins dans un rapport de rupture qu’à l’intérieur d’une hybridation propre au contexte de la fin des années 1950 et du début des années 1960 qui a vu le cinéma hollywoodien accueillir de nouvelles formes et de nouveaux procédés narratifs provenant de la télévision et du cinéma d’exploitation. Les annexes proposées répondent quant à elles à la rigueur de l’ensemble. Découpage technique, tableau de correspondances entre dessins du story-board et photogrammes du film, et autres tableaux analytiques assurent encore la clarté d’un travail dont il faut souligner la valeur de la démonstration.

1ère publication : 14 mai 2019 sur www.cinechronicle.com

Derrière le rideau. Alfred Hitchcock, Saul Bass et la scène de la douche
• Auteur : Joachim Daniel Dupuis
• Éditions : L’Harmattan
• Collection : Quelle drôle d’époque !
• Date de parution : 4 avril 2019
• Format : 216 pages
• Tarif : 22 € (print) – 16,99 € (numérique)