Comment se réorienter dans l’actualité ? Université internationale d’été « Orient, Orientation, Désorientation »

, par Alain Brossat


Dialoguant avec quelques grands intellectuels japonais à l’occasion de sa première visite dans l’archipel, en 1970, Foucault s’interrogeait sur l’épuisement de la fonction subversive de l’écriture : « L’époque où le seul acte d’écrire, de faire exister la littérature par sa propre écriture suffisait pour exprimer une contestation à l’égard de la société moderne n’est-elle pas déjà révolue ? Maintenant le moment n’est-il pas venu de passer aux actions véritablement révolutionnaires ? Maintenant que la bourgeoisie, la société capitaliste ont totalement dépossédé l’écriture de ces actions, le fait d’écrire ne sert-il pas seulement à renforcer le système répressif de la bourgeoisie ? Ne faut-il pas cesser d’écrire ? » - voilà le genre de questions, aussi abruptes que massives que Foucault adressait alors à ses interlocuteurs, des universitaires, éminents spécialistes de la littérature et la philosophie française, pour la plupart. Et comme pour les convaincre qu’il ne s’agit pas là d’un exercice rhétorique, il ajoutait les mots suivants : « Quand je dis cela, je vous prie de ne pas croire que je plaisante » [1].

C’est qu’en effet, alors même que le taraudent ces question(s), il n’en continue pas moins à écrire et à publier. Ce dont il lui faut donc témoigner devant ses interlocuteurs japonais, c’est de la perplexité dans laquelle il se trouve plongé concernant sa propre pratique, mais aussi bien l’époque qui les suscite. Il enchaîne en effet sur ces mots : « Certains de mes amis les plus proches et les plus jeunes ont renoncé définitivement, du moins à ce qu’il me semble, à écrire. Honnêtement, face à ce renoncement au profit de l’activité politique, non seulement je suis moi-même admiratif, mais je suis saisi d’un violent vertige [je souligne, A.B.] ».
Les amis dont il parle ici, ce sont bien sûr les étudiants ou jeunes intellectuels radicalisés, maoïstes et autres, qui vont travailler en usine, pour y conduire une activité révolutionnaire – voir à ce propos le livre de Robert Linhart, L’établi [2]. Mais là n’est pas le sujet pour aujourd’hui.
Le fil que je voudrais saisir ici est celui d’une expérience ou forme très expressive et très radicale de la désorientation – le vertige. Le vertige, la tête qui tourne, l’équilibre qui se perd, le sujet qui chancelle et doit s’asseoir ou se retenir aux murs pour ne pas tomber, c’est une expérience qui a le corps pour siège en premier lieu, et non pas les facultés mentales ou intellectuelles. C’est une radicale interruption de la déambulation du sujet, un arrêt sur une image qui se trouble. [Plus moyen d’avancer et impossible de savoir ni quand, ni comment on s’en sortira – dans l’épreuve du vertige, tout devenir ou futur devient incertain. L’expérience dont témoigne ici Foucault en rappelle un autre, fameuse celle-ci : dans sa monumentale Histoire de la Révolution russe, Trotsky rapporte ce mot de Lénine, le jour où les bolcheviks s’emparent du pouvoir à Saint Petersbourg : « Es schwindelt, j’en ai la tête qui me tourne », dit Lénine, bizarrement en allemand, en se portant la main sur le front [3].]
Il faudrait insister ici sur la variété et même l’hétérogénéité des expériences de la désorientation : quand Descartes, dans la troisième partie du Discours de la méthode, exposant la seconde maxime de sa « morale par provision », recourt à l’image des « voyageurs se trouvant égarés en quelque forêt », c’est d’un tout autre topos qu’il s’agit [4]. Premièrement, ce dont il parle n’est pas une expérience réelle, au sens de vécue, c’est une construction théorique, à fin démonstrative et prescriptive. Deuxièmement, même s’il y est bien question de corps se déplaçant dans la forêt, c’est une expérience intellectuelle avant tout. Troisièmement, le vertige dont parle Foucault est indissociable de la désubjectivation – non seulement le sujet perd ses repères et ignore si et quand il les retrouvera, mais il est affecté dans sa constitution même de sujet, il se dissocie, il se perd lui-même.
Par contraste, le sujet cartésien, lui, s’étant perdu dans un milieu touffu et opaque, la forêt, dispose d’une recette, d’une méthode comme l’indique le titre même de l’ouvrage, pour se retrouver – aller en ligne droite. La ligne droite, c’est ici ce qui, rigoureusement, s’oppose aux formes vagues qui se dessinent devant les yeux du sujet saisi par le vertige, ou bien encore aux ronds dans la forêt que font ceux qui, s’étant égarés, ne savent pas se sortir d’affaire. Je cite ce passage [sur lequel ont planché des générations de candidats au bac ] : « Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais (...) Imitant en ceci les voyageurs qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n’ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir ; car, par ce moyen, s’ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part, où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt » [5].

On voit bien ici tout ce qui sépare la désorientation en mode cartésien de la désorientation foucaldienne. Dans le premier cas, il ne s’agit pas de se perdre pour de bon, d’être perdu[, un état pur, si l’on peut dire,] mais tout au contraire d’en faire l’hypothèse pour mieux faire valoir la méthode permettant d’échapper à l’égarement. On pourrait gloser longuement ici sur le glissement susceptible de se produire d’une forme d’égarement à l’autre (de la condition du voyageur perdu au milieu de la forêt à celle du fou) et montrer comment, dans les deux cas, ce qui importe à Descartes, c’est de mettre à distance ces deux expériences ou possibilités et de s’immuniser contre elles – on se rappelle le commentaire que fait Foucault, dans Histoire de la folie... de ce célèbre passage des Méditations – « mais quoi, ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leurs exemples... », – et la controverse qui s’ensuivit avec Derrida... [6]
Faute de temps, je ne me risquerai pas dans ce labyrinthe. Je voudrais simplement suggérer ici que s’identifient, à propos de l’égarement et de la désorientation, deux gestes qui, au fond, se séparent sur une ligne de partage distincte et décisive dans l’exercice de la philosophie : la philosophie cartésienne se déploie comme un dispositif général destiné à prémunir le sujet pensant contre le risque de la désorientation. C’est pour être réduite aux conditions de la raison que l’expérience de la désorientation ou de l’égarement doit être passée en revue. Les Méditations présentent au lecteur les lettres de créance métaphysiques de cette philosophie garantissant le droit usage de la raison contre la possibilité même d’une désorientation qui ne soit purement hypothétique, une expérience de pensée à toutes fins utiles et dans laquelle, notons-le en passant, la question de l’orientation est rigoureusement déliée de celle de l’Orient – peu importe dans quelle direction vous irez, dit Descartes, pour peu que vous alliez en ligne droite... Avec Descartes, l’orientation et l’Orient ont rigoureusement cessé de faire cause commune, ce qui, tout aussi rigoureusement, le définit comme un philosophe occidental, occidentalocentrique.

Dans l’espace post-métaphysique au contraire, où se construit et, surtout, se déplace la pensée de Foucault, la désorientation et la désubjectivation qui l’accompagne sont la condition même de la pratique de la philosophie : pas de vie philosophique, pas de philosophie vivante sans possibilité perpétuelle ou risque constamment assumé par le sujet philosophant de se trouver, dans son actualité, dans son époque, complètement lost in critique non moins que lost in translation, tous repères et toutes certitudes élémentaires perdus. Cette condition de possibilité est générale, elle concerne tous les objets de la philosophie, car elle découle fondamentalement de la relation que la philosophie entretient à son actualité, du fait que le philosophe ne philosophe pas seulement dans son présent mais au présent – la philosophie comme ontologie du présent. D’un point de vue géo-philosophique, il n’est pas indifférent que ce soit en Asie orientale qui, pour nous Européens de l’Ouest, est l’Orient extrême, que Foucault témoigne de cette expérience de la désorientation. Descartes, lui, écrit pour un public européen autocentré.
Dans l’exemple dont je suis parti, le problème tournait autour des puissances de l’écriture, dans une époque qui est celle de l’après-Mai 68 et, au rebond, autour de la condition des intellectuels, leurs puissances critiques, leurs capacités politiques. Mais dans d’autres interventions de Foucault, c’est à l’épreuve d’objets tout différents que surgit le motif de la désorientation. Dans un entretien qu’il accorde en 1977 à un magazine allemand, il réplique de façon abrupte sur la question de son interlocuteur qui lui demande si l’on peut « imaginer une alternative à l’Etat de police » : « La réponse à votre question est triste, étant donné les jours sombres que nous vivons et que la sucession du Président Mao Tsé toung a été réglée par les armes. Des hommes ont été fusillés ou emprisonnés, des mitrailleuses mises en action [Foucault fait référence ici à la liquidation de la « Bande des quatre », prélude à la réorientation pragmatique de la politique chinoise impulsée par Deng Xiaoping]. Aujourd’hui 14 octobre [1977], jour dont on peut dire, peut-être, depuis la révolution russe d’octobre 1917, peut-être même depuis les grands mouvement révolutionnaires européens de 1848, c’est-à-dire depuis soixante ans ou, si vous voulez, depuis cent vingt ans, que c’est la première fois qu’il n’y a plus sur terre un seul point d’où pourrait jaillir la lumière d’un espérance. Il n’existe plus d’orientation [je souligne, A.B.]. Même pas en Union soviétique, cela va de soi. Ni non plus dans les pays satellites. Cela aussi, c’est clair. Ni à Cuba. Ni dans la révolution palestinienne, et pas non plus en Chine, évidemment » [7].

Ici, donc, c’est sous le choc produit par un événement particulier - la liquidation de la Bande des Quatre, tournant majeur dans la Révolution culturelle en Chine -, que Foucault est conduit à statuer, dans l’urgence : il n’y a plus d’orientation. Le changement d’échelle dont ce jugement est l’occasion est spectaculaire : l’événement particulier que d’autres pourraient décrire comme une péripétie de la Révolution culturelle, se voit attribuer immédiatement une qualité diagnostique générale : Foucault y voit ni plus ni moins qu’[un point d’inflexion,], l’indice d’une bifurcation décisive et une césure dans le cours présent de l’histoire mondiale, sinon universelle.[C’est, toutes choses égales par ailleurs, l’esprit du fameux « à dater de ce jour et de ce lieu » prêté à Goethe, spectateur de la bataille de Valmy]. Changement d’époque, bouleversement de notre relation à notre condition historique : désormais, « il n’y a plus sur terre un seul point d’où pourrait jaillir une espérance ».
On voit que la perte d’orientation produit des effets tout à fait contrastés : sur son versant négatif, elle est ce qui met en évidence une déperdition, un désastre subjectif ; nous voici orphelins de toute espérance historique, fin de cette séquence où le soleil de l’histoire révolutionnaire se levait à l’Est, nous voici abandonnés à nous-mêmes, en plein désarroi, en pleine désorientation... Mais sur l’autre versant de la perte d’orientation, les choses se présentent tout autrement : celle-ci en effet apparaît comme la condition liminaire de l’exercice de la faculté critique du philosophe devant son actualité. C’est l’évidence même : pour pouvoir faire face à la douloureuse réalité et avoir le cran d’énoncer le diagnostic destiné à réveiller les pieux et les croyants engoncés dans leurs routines (disons, les amis maoïstes de Foucault, la planète gauchiste française, européenne, occidentale de la fin des années 1970) en énonçant à haute et intelligible voix – il n’y a plus d’orientation, la lumière de l’espérance révolutionnaire s’est éteinte à l’Est –, il faut être soi-même désorienté, inclus subjectivement et affectivement dans le processus décrit. La lucidité du jugement sur le présent historique, sur l’actualité ne se dissocie pas, paradoxalement, de l’épreuve de la désorientation. Le courage de la vérité, consiste ici à témoigner de sa désorientation face à un événement-couperet, plus que simplement litigieux ou polémique.

Chez Descartes, l’hypothèse de l’égarement n’est qu’un moment de l’exposition des fondements de la science vraie. Chez Foucault, le jugement qui statue sur notre état de désoriention face au présent manifeste, en situation limite, atteste cependant la persistance malgré tout de la faculté critique ou, si l’on veut, de ses puissances. C’est le trait ascétique de la lucidité qui s’y dévoile : il faut avoir le courage d’aller jusqu’au bout de l’effondrement des certitudes et des espérances pour prononcer cet énoncé fatidique : il n’y a plus d’orientation, nous voici en pleine désorientation. Un tel énoncé peut déboucher sur la démission, le retrait, la dépression, le suicide ou, en termes philosophiques, toutes sortes de postures nihilistes, cyniques, désenchantées – il est minuit dans le siècle, tirons l’échelle. Mais ce n’est pas le cas ici. Foucault dit : tous modèles historiques effondrés, nous voici « renvoyés à l’année 1830, c’est-à-dire qu’il nous faut tout recommencer [je souligne, A.B.] depuis le début et nous demander à partir de quoi on peut faire la critique de notre société dans une situation où ce sur quoi nous nous étions implicitement ou explicitement appuyés jusqu’ici pour faire cette critique [s’est effondré] ; en un mot, l’importante tradition du socialisme est à remettre fondamentalement en question, car tout ce que cette tradition a produit dans l’histoire est à condamner » [8]. En d’autres termes, là où s’effondre sous nos yeux toute une tradition historique, socialiste, révolutionnaire, d’un régime d’historicité, peut-être, il nous faut remonter aux sources, identifier les scènes, les moments premiers où s’enclenchent les mauvais gestes, où la tradition s’établit sur des fondements douteux. Se réorienter, c’est ici recommencer, pour tenter, sans garantie ni certitude, de repartir d’un bon pas et de se sortir du mauvais pli historique dont on était captif.
Tout ceci est lancé à la volée par Foucault dans cet échange, on pourrait facilement en incriminer le caractère expéditif ou approximatif. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont l’épreuve de la désorientation enchaîne sur le geste énergique du recommencement, un geste dont l’arrière-plan est évidemment une figure qui occupe une place de choix dans l’histoire de la philosophie occidentale – celle de la tabula rasa ou du point zéro comme préalable à de la reconstruction d’un domaine de certitudes pour les uns, de réassurance du discours et de poursuite de l’exercice de la faculté critique pour les autres. En un sens, chassé par la porte de la désorientation inscrite dans la dimension de l’existence et non de la pure spéculation, Descartes revient par la fenêtre de la tabula rasa – après tout, c’est bien à une sorte de doute radical concernant notre condition historique, notre espérance révolutionnaire, les articles de notre foi politique inspirés par la doxa gauchiste que nous convie Foucault dans cet entretien au ton légèrement exalté.
Mais peut-être ce rapprochement n’est-il qu’un trompe-l’oeil. Foucault retrouve Descartes, mais comme il aurait aussi bien pu retrouver Socrate ou Husserl, là où il est question d’affirmer sans ambages que la philosophie vivante est faite de recommencements et de réorientations en forme de bifurcations. [C’est, toutes choses égales par ailleurs, comme dans la comédie du remariage selon Stanley Cavell : la reprise suppose la différence, il ne suffit pas de repartir, il faut le faire sur de nouvelles bases, les conditions ont changé entre le mariage et le remariage, la reprise inclut la réorientation] [9]. Toute la différence entre un Descartes et un Foucault, le premier adossé à son appareil métaphysique et le second cheminant en funambule sur le filin de son ontologie du présent, est là ; Descartes pense la réorientation dans l’horizon d’une science du vrai guidée par la raison, tandis que le second n’a au fond pour boussole que ce qu’il appelle la criticabilité des choses et l’impermanence des énoncés. Si ceux-ci sont, par excellence, le milieu où survient la désorientation, ils menacent perpétuellement de laisser le philosophe en plan lorsqu’il est question de définir selon quelles lignes rectrices doit se produire la réorientation.
Autant, dans son entretien avec la revue allemande, Foucault est prompt à s’enflammer autour du motif « il n’y a plus d’orientation, il faut tout recommencer », autant il est porté à éluder la question de savoir ce que devraient être les lignes de force d’une réorientation – et il n’y a là pas grand mystère : c’est qu’il n’y a pas, dans la perspective d’un Foucault ou d’un Deleuze, de grand-arrière de la réorientation, qu’il soit de nature métaphysique ou éthique, ni principes ou valeurs universels qui en constitueraient le sol solide établi a priori. En d’autres termes, la réorientation va devoir se donner ses fondements à partir de l’expérience ou l’épreuve même de la désorientation. Et c’est bien là que les choses se compliquent, c’est-à-dire là où le passage de la désorientation à la réorientation s’apparente à l’effort du baron de Münchhausen pour s’extraire des sables mouvants en se tirant par les cheveux.

Je n’ai pas le temps de gloser longuement autour de ce motif, je me contenterai donc de mentionner en passant deux repères signalétiques : quand Foucault entend désigner ce que, dans le présent, nous ne pouvons pas accepter et qui est propre à nous faire entrer en résistance, il ne fait pas référence à des valeurs et des principes supposés universels, mais à l’ « intolérable », mettant ainsi en avant le motif des puissances subjectives face à l’actualité, comme moteur de l’action, du geste consistant à se jeter dans la mêlée ; premier geste de réorientation radicale, en relation avec ce qui se trouve institué et sanctifié par la dite philosophie politique, donc : l’actualité, comme domaine d’intensification de la relation qui s’établit entre un sujet et des événements ou des situations, plutôt que la législation des valeurs et des principes [10]. Et, second geste de réorientation, non moins tranché, lorsque Foucault mobilise, assez furtivement je dois dire, le motif des droits de l’homme, c’est pour le détourner du côté de ce qu’il appelle les droits des gouvernés [11]. Dans cette perspective, la réorientation ne résulte pas d’un programme ou d’une théorie, elle s’invente, à nouveaux frais, dans le geste même du nouveau départ, du recommencement.

L’avantage d’un examen de l’histoire des gestes philosophiques (pour ne pas parler d’une « science » de la gestuelle philosophique – on peut toujours rêver...) par le « bout » de la triade orientation-désorientation-réorientation, c’est qu’il nous permet d’entrevoir qu’au fond l’espèce philosophique et philosophante se divise en deux : les architectes-ingénieurs et les voyageurs-promeneurs-flâneurs. Descartes, voyageur et cavalier impénitent dans la vraie vie, parle en architecte et ingénieur dès qu’il fait le philosophe – voir, par exemple, le début de la troisième partie du Discours de la méthode. Le philosophe architecte-ingénieur travaille sur plan, il édifie, étape par étape, il sait où il va, sait de quoi sera faite l’étape suivante avant même de s’y être engagé – c’est la raison pour laquelle il ne saurait jamais vraiment s’égarer. Ce qui fait par contraste que le philosophe voyageur peut, à chaque instant, chaque « tournant » de sa recherche, se trouver égaré, c’est qu’il est établi dans la pure immanence. Il avance et, comme le dit le poète, le chemin se confond avec les traces des pas du voyageur : « Voyageur, le chemin/sont les traces de tes pas/c’est tout : voyageur/il n’y a pas de chemin/le chemin se fait en marchant/le chemin se fait en marchant » – Antonio Machado [12]. Pas de chemin tracé au devant, juste une direction à trouver ou retrouver, au risque de se perdre – et c’est là tout l’enjeu de la philosophie comme conduite, pratique de soi indissociable de l’expérimentation dans le présent.

L’opposition à laquelle j’essaie de donner forme ici ne trouve pas son champ d’application seulement sur un axe diachronique – le métaphysicien classique Descartes contre le tenant de l’ontologie du présent Foucault. Elle s’enracine dans un partage qui concerne peut-être moins des époques que des gestes, c’est-à-dire des « façons de faire » de la philosophie. S’il est, parmi nos contemporains, un philosophe que son art de philosopher n’expose pas à l’épreuve de la désorientation, c’est bien Alain Badiou, par exemple – c’est qu’il est, lui, un métaphysicien, même si c’est d’un tout autre cru que Descartes. Certains, parmi ses adversaires, diront que l’appareil métaphysique de sa philosophie ne le prémunit par, à l’occasion, contre le plus complet des égarements, voire l’aberration – mais c’est ici précisément que les choses deviennent passionnantes : là où l’on voit que la désorientation, c’est une expérience tout à fait singulière qui n’est jamais conduite jusqu’au bout que lorsqu’un sujet en témoigne – un sujet philosophique dans le cas qui nous intéresse ici. Le philosophe qui s’égare, qui déraille, qui déconne à plein tube, tout en revendiquant son autorité philosophique, Hegel sur l’Orient, justement, ou Kant sur les Noirs et les femmes, Badiou sur les Khmers rouges – c’est une tout autre affaire... celle de la faillibilité de l’intelligence philosophique – à l’instar de toute autre...
Deleuze était fasciné par les romans de chevalerie, par Don Quichotte aussi, en conséquence, par les personnages littéraires ou assimilés dont toute l’existence et la quête s’agencent autour de l’expérience de la perte et l’effort perpétuel pour se retrouver dans des étendues anomiques, l’océan, le désert, Lawrence d’Arabie, Achab, etc. Pour lui, la désorientation est une expérience-limite, car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement ou en premier lieu la relation d’un sujet solidement constitué (comme l’est le voyageur cartésien qui ne perd le nord à aucun instant) à un espace ou un environnement, mais bien le rapport du sujet à soi-même. On peut voir et entendre dans les enregistrements des cours vincennois de Deleuze quelques morceaux de bravoure époustouflants non moins qu’hilarants dans lesquels il mime tel personnage de Chrétien de Troyes avançant en somnambule sur son cheval et ayant tout oublié de la direction qu’il doit prendre, du but de son déplacement, de qui il est, quel est le nom de sa dame, en mal de quel exploit il se trouve, etc [13]. Le fond de la désorientation, c’est la désubjectivation, le sujet cartésien qui part en morceaux et qui n’en continue pas moins d’avancer, en automate, en rêveur éveillé ou somnolent – caminando y caminando...
Ce qui se pense à la limite dans ces images de chevaliers errants, c’est, dans l’esprit de Deleuze, la condition même du travail philosophique : « C’est lorsqu’on a perdu les certitudes qu’on peut dire quelque chose » [14] (Astier, p. 56). Ceux qui, comme Montaigne, comme Rousseau, associent l’activité philosophique à la déambulation ou au cheminement, ceux pour qui, comme Benjamin, elle est indissociable de la flânerie, tous ceux-là voient dans la perte d’orientation ou dans l’accident qui interrompt abruptement la promenade (la chute) une épreuve créatrice qui relance la pensée [15]. Foucault, qui détestait le vacances mais cultivait le dépaysement radical (Les longs hivers d’Upsalla, les douceurs de Carthage, les reportages d’idées en Iran, les backrooms de Californie, le temple zen au Japon...) et Deleuze qui accompagnait Achab sur les océans déchaînés et Lawrence dans les étendues désertiques de l’Arabie d’avant le pétrole sans sortir de sa bibliothèque-bureau de la rue de Bizerte poursuivent cette tradition d’une philosophie de l’exploration, du balisage de nouveaux espaces, dans une perspective qui n’est pas celle de la conquête mais plutôt de la sortie de soi – le vertige ou, en version light, la perte de repères, associé à la création.
Mais cette expérience ne vaut, dans cette perspective, qu’à la condition d’être rigoureusement non dialectique, c’est-à-dire d’être exposée au risque de se perdre pour de bon et non pas entreprise dans une perspective où la perte, le détour, l’excentrement n’est jamais que le truchement d’une opération consistant à revenir à soi conformé, raffermi, plus assuré de ses assises que jamais. Et c’est ici, précisément, qu’émerge l’enjeu de ce qui, génériquement, peut se désigner comme « l’Orient », dans une perspective occidentale, occidentalocentrique. Le romancier canadien d’origine sri-lankaise Michael Ondaartje décrit parfaitement ce phénomène ou cette conduite, dans un roman intitulé Le fantôme d’Anil – un roman qui évoque les fantômes de la terrible guerre civile qui a ravagé le Sri Lanka dans les années 1980-90. Ce sont les dernières lignes du roman : « Les films américains, les livres anglais, souviens-toi comment tous finissent, avait-il dit. L’Américain ou l’Anglais monte dans un avion et s’en va. Tout simplement. Et la caméra s’en va avec lui. Par le hublot, il regarde Mombasa, le Vietnam ou Djakarta, un endroit qu’il peut désormais voir à travers les nuages. Le héros fatigué. Deux ou trois mots à la fille assise à côté de lui. Il rentre chez lui. Pour ce qui le concerne, la guerre est finie. Cette réalité-là suffit à l’Occident. Voilà qui résume sans doute toute l’histoire des écrits politiques occidentaux de ces deux cents dernières années. Rentrer au pays. Ecrire un livre. Donner des conférences » [16].

L’expérience de la désorientation ne trouve sa densité philosophique qu’à la condition d’éviter de tomber dans les faux-semblants de ce détour « dialectique » par un Orient ou un autre. Elle s’apparente ici à ce que Ian Patocka (une tout autre tradition que celle de Foucault et Deleuze) nomme ébranlement. L’ébranlement, selon Patocka, c’est « une expérience de privation momentanée de toute perspective, de toute promesse de futur assuré, de tout espoir en une vie normale » [17]. Dans cette expérience s’abolit toute certitude d’un retour aux conditions d’une vie « normale », d’un exercice « normal » de la pensée, solidement arrimé sur le sol de ce que l’Occidental qui se dépayse vers un Orient ou un autre ne quitte que pour mieux le retrouver et s’y retrouver.

C’est ici que se repère ce que l’on pourrait appeler la fonction rhétorique de l’Orient, d’un Orient d’autant plus global et plastique qu’il est imaginé et imaginaire par des Occidentaux. Ce qui définit parfaitement, pour nous, Français le régime de cet Orient global, élastique, mobile et imaginaire, c’est le paradigme de l’ « épicerie orientale ». Une épicerie orientale, c’est un commerce indifféremment tenu par des Arabes, des Turcs ou des Indiens (etc.) et qui vend des produits venus d’Afrique comme d’Asie. Donc, un Orient à géométrie infiniment variable, tout comme Ben-Hur de Lewis Wallace, le roman, est un grand bric-à-brac orientaliste, quoiqu’il se projette avant tout comme une grande fable judéo-chrétienne un peu kitsch... [18]. Donc, la fonction rhétorique de l’Orient, pour nous Occidentaux, c’est de désigner un faisceau de lignes de fuite faites d’attirance comme de répulsion. Attirance : c’est le grand motif du voyage en Orient qu’entreprend le sujet occidental ennuyé, déprimé, désorienté, en quête de ressourcement. Un peu au hasard, ces quelques lignes glanées dans La dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils :
« Rien ne me retenait plus à Paris, ni haine ni amour. J’étais épuisé par toutes ces secousses. Un de mes amis allait faire un voyage en Orient ; j’allai dire à mon père le désir que j’avais de l’accompagner ; mon père me donna des traites, des recommandations, et huit jours après, je m’embarquai à Marseille » [19]. C’est aussi simple que ça...
Ce qui fait la singularité du voyage en Orient entrepris dans ces dispositions, c’est qu’on ne s’y lance autant pour se perdre que pour s’y retrouver – s’y refaire une santé morale, voire financière, dans le contexte colonial, avant de regagner ses bases.

Mais répulsion, aussi bien : dans ce cas, l’Orient devient le nom générique du mauvais Autre – despotisme oriental, dans tous ses usages, par exemple, et qui dicte des formules automatiques du genre : « Les vieillards cupides qui tiennent le pouvoir dans la Cité interdite », formule exemplairement orientaliste, encore, que je relève sous la plume d’un critique qui fait les beaux jours des Cahiers du cinéma – et en quoi, s’il-vous-plait lesdits supposés vieillards sont-ils plus cupides que nos juvéniles Tapie, Cahuzac et Balkany ? [20]
Dans tous les cas, de quelque côté que penche la ligne de fuite, ce qui se dévoile dans cette rhétorique occidentale de l’Orient, c’est une déperdition ou un oubli fondamental et massif : l’oubli du fait que l’oriens, là où le soleil se lève, c’est le premier moyen de s’orienter, en l’absence de boussole ou d’obscurité permettant de se repérer sur les étoiles. Cet oubli vient de loin : Descartes préconise la ligne droite – à aucun moment il n’est question de lever la tête pour voir où en est le soleil. Kant, lui, indique bien, dans son petit opuscule Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, que l’Orient est le premier des points cardinaux, celui qui permet de s’orienter – mais sa philosophie tout comme son anthropologie font bien peu de cas de cette particularité. Ainsi, pour lui, on ne peut guère concevoir une « histoire universelle au point de vue cosmopolitique » qu’en partant de l’histoire grecque, « car c’est par elle que toutes les autres histoires antérieures ou contemporaines nous sont conservées, ou tout au moins, c’est à partir d’elle qu’on peut les conjecturer » (Idée d’une histoire... p 483) [21].
Ainsi, pour Kant, la notion même d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique ne peut prendre corps qu’à partir de l’histoire grecque, point d’origine du récit en quelque sorte absolu. L’idée que d’autres récits, non moins cosmopolitiques, puissent trouver leur foyer ou point d’origine en d’autres topographies, la Chine, l’Inde, l’Amérique pré-colombienne lui (etc.), lui est apparemment tout à fait étrangère. Fondée sur un tel présupposé, une telle histoire universelle, entendue comme récit, n’est guère exposée à la désorientation : c’est à partir de la centralité de l’histoire grecque que se découvre, dit Kant, « un cours régulier dans l’amélioration de la constitution politique sur notre continent », un cours dont il ajoute qu’il « donnera vraisemblablement un jour des lois à tous les autres » – un propos taillé sur mesure pour les promoteurs de la globalisation démocratique qui prend corps dans les années 1990... [22]

Ceci étant, ce que l’on pourrait néanmoins retenir de la réflexion de Kant, c’est l’idée que l’histoire universelle, y compris envisagée « d’un point de vue cosmopolitique », avance toujours « par un bout » plutôt que par un autre ou du moins, est perçue comme telle par les contemporains. C’est un critère fondamental pour les contemporains, un moyen essentiel de se repérer dans le présent et d’y détecter ce qui en constitue l’actualité – l’idée – ou plutôt l’intuition selon laquelle c’est en telle topographie que « les choses se passent », en ce moment, plutôt qu’en telle autre. Cette intuition peut revêtir des couleurs bien différentes : dans les années 1970, la conviction, partagée par une bonne partie de la jeunesse radicalisée en Occident et au delà, selon laquelle la Révolution chinoise et la lutte des Vietnamiens contre la machine de guerre américaine « montraient la voie » était, comme élément d’orientation dans le présent, indissociable d’une vive espérance révolutionnaire – cet Orient-là était, tout uniment, rouge.
Aujourd’hui, l’idée selon laquelle « les choses » (ce que Kant appelle l’histoire universelle) « bougent », changent, donnent la direction par le bout oriental, l’impulsion venant de l’Asie orientale, est assez largement partagée – L’hégémonie occidentale est en crise, les palinodies de Trump, Ubu aux Amériques, en sont le témoignage pathétique, l’Europe piétine sans fin et, par contraste, les facteurs dynamiques qui portent les mutations mondiales en cours sont essentiellement à l’oeuvre dans cet Orient que nous, Français, disons « extrême » et les Anglo-Saxons « lointain » (far). Mais, bien sûr, cette intuition occidentale selon laquelle les forces motrices de l’Historia mundi se sont déplacées vers cet Orient lointain, chinois ou autre, mais dans tous les cas figure d’altérité forte, n’est plus associée à un quelconque messianisme révolutionnaire – ce qui l’accompagne, ce sont essentiellement des sensations négatives ou, au mieux, une sensibilité inquiète à la question hégémonique – la Chine va-t-elle se substituer aux Etats-Unis comme première puissance économique et/ou politique mondiale ?
Ce qui est tout à fait distinct autant que paradoxal, c’est qu’une telle sensibilité n’incite guère les élites et les opinions, en Occident, à se décentrer, à se désorienter, dans un sens positif, c’est-à-dire à envisager ce cours actuel de l’histoire universelle du point de vue de la pluralité des mondes humains, des histoires et des foyers de civilisation tout au contraire : plus que jamais, l’histoire politique, la géo-politique occidentale des évolutions en cours placée sous le signe du dynamisme de l’Orient extrême, telle qu’elle se raconte dans les instituts de science politique et dans les journaux, est inspirée par un subjectivisme occidentalocentrique d’autant plus sectaire et agressif qu’il s’active à contre-sens du cours des choses et ne l’ignore pas – le bavardage inépuisable sur « Xi imperator » (Le Monde), et jamais « Sissi imperator », ceci pour l’unique raison que Xi, le Chinois, c’est le grand autre oriental et l’ennemi et Sissi l’Egyptien, c’est le client, l’ami, l’Orient domestiqué. L’Orient, notamment extrême, c’est, pour cet Occident-là, le nom de la dépossession annoncée.

Ce que je voudrais dire en conclusion, c’est que dans tous les cas, notre spécialité, c’est vraiment les rendez-vous ratés ou bâclés avec l’Orient, qu’il s’agisse de l’Orient qui dépayse, de l’Orient à coloniser, de l’Orient comme usine à rêves ou à fantasmes, ou, à l’inverse de l’Orient comme autre répulsif, Orient anomique, fourbe, depotique, etc. - dans tous les cas, le pont-aux-ânes que nous ne franchissons pas, c’est celui qui nous conduirait à nous affranchir de notre autocentration et à concevoir l’impérieuse nécessité, comme dit André Gunder Frank [23], de nous réorienter en mesurant à quel point le centre de gravité de l’histoire mondiale s’est déplacé, au cours de la seconde moitié du XX° siècle, vers l’Orient, ou bien encore, comme dit Jack Goody, à effectuer cette révolution du regard destinée à nous permettre de comprendre que le récit eurocentrique de l’histoire du monde est fondé sur un « vol », un rapt de l’histoire universelle – et donc un perpétuel oubli de l’Orient. Nous échouons à nous affranchir de notre eurocentrisme comme nos ancêtres ont été longs à s’affranchir de leur géocentrisme. Pire que cela : notre présent est celui d’une sorte de vaine et pathétique restauration, pour ne pas dire contre-révolution eurocentrique, logocentrique, ethnocentrique, une sorte de bétonnage identitaire et qui se destine bien illusoirement à nous protéger contre tout ce qui, dans le présent, tend à nous décentrer et nous désorienter.

Notes

[1Michel Foucault, Dits et Ecrits, texte 82 « Folie, littérature, société ».

[2Robert Linhart : L’Etabli, Editions de Minuit, 1978.

[3Léon Trotsky : Sur Lénine...

[4« Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses », lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées ».

[5Ibid.

[6Voir sur ce point la conférence de Derrida intitulée « Cogito et histoire de la folie » (1963) et la réponse de Foucault « Mon corps, ce papier, ce feu » in la réédition à l’Histoire de la folie de 1972.

[7Michel Foucault : Dits et Ecrits, « La torture, c’est la raison », texte 215.

[8Ibidem.

[9Stanley Cavell : A la recherche du bonheur : Hollywood et la comédie du remariage, traduit de l’anglais par Christian Fournier et Sandra Laugier, Cahiers du cinéma, 1993.

[10Sur la question de l’actualité : voir « Qu’est-ce que les Lumières ? » in Dits et Ecrits, texte 351.

[11Voir sur ce point « Face aux gouvernements, les droits de l’homme », in Dits et Ecrits, texte 355.

[12Antonio Machado : « Caminante, no hay camino » (poème)

[13Voir aussi sur ce point Gilles Deleuze et Félix Guattari Mille plateaux, Minuit, 1980.

[14Sur ce point, la thèse de Frédéric Astier : Gilles Deleuze, une parole plurielle, Université Paris 8, 2007.

[15Walter Benjamin : Enfance berlinoise vers 1900, traduit de l’allemand par Pierre Rusch, L’Herne, 2012.

[16Michael Ondaatje : Le fantôme d’Anil, traduit de l’anglais par Michel Lederer, Editions de l’Olivier, 2000.

[17Jan Patocka : La crise du sens, traduit du tchèque par Erika Abrams, Ousia, Bruxelles, 1985.

[18Ben-Hur, roman de Lewis Wallace, traduit de l’anglais par R. D. D’Humières et J. L. de Janasz, Librairie Delagrave, 1928 (1880).

[19Alexandre Dumas fils : La Dame aux camélias, Bookking International 1994 (1848).

[20Jean-Michel Frodon : La projection nationale – cinéma et nation, p 182, Odile Jacob, « le champ médiologique » (sic) 1998.

[21Emmanuel Kant : Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique

[22Ibid.

[23Andre Gunder-Frank : Reorient – Global Economy in the Asian Age, Berkeley, University of California Press, 1998.